L'idée. En politique, il faut employer les mots justes. Pour certains élus, cela peut même enrayer l'optimisation fiscale, terme désignant les techniques (légales) employées par les entreprises pour éviter de payer des impôts en France, en se servant des failles du droit français. Comme le rapporte Le Canard enchaîné mercredi, Pierre Alain Muet, député socialiste du Rhône va proposer un amendement au projet de Budget 2014, visant à ajouter un simple mot à l'article L64 du livre des procédures fiscales. Un simple changement de mot qui pourrait rapporter des millions dans les caisses de l’État… mais freiné jusque là par le gouvernement.
>> Quel est ce mot ? Comment peut-il enrayer l'optimisation fiscale ? Pourquoi le débat est épineux? Explications.
L'article polémique. Selon l'article L64 du livre des procédures fiscales, une entreprise française n'a pas le droit d'installer ses activités dans des pays fiscalement plus conciliants si cela se justifie exclusivement par des raisons fiscales. Il y a, en effet, "abus de droit" lorsque les délocalisations de l'entreprise "n'ont pu être inspirées par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales". En revanche, lorsque le but de l'entreprise n'est pas exclusivement fiscal, elle peut très bien aller s'installer ailleurs et profiter d'un ciel fiscal plus clément. Résultat, comme le raconte l'hebdomadaire satirique, les entreprises évoquent souvent des motifs tels que la compétitivité ou la réorganisation du travail pour aller payer leurs impôts ailleurs. Il n'y, à ce moment là, pas "d'abus de droit" et le fisc ne peut pas demander de contrôle.
Une "faiblesse majeure". "Le dispositif souffre d’une faiblesse majeure : l’administration doit démontrer le but exclusivement fiscal du schéma d’optimisation. Or, dans le cadre d’un montage international, il est relativement aisé pour un groupe de démontrer l’existence d’un élément économique, aussi secondaire soit-il, faisant ainsi obstacle à l’application de l’abus de droit", résume UMP Philippe Marini, cité mercredi par le site Fiscal online. Cette exclusivité des raisons fiscales "rend impossible l'intervention de l'administration", renchérit Pierre-Alain Muet dans le Canard.
Ce qu'ils proposent. Les pourfendeurs de cette "faiblesse", majoritaire au Sénat mais pas à l'Assemblée, proposent donc de remplacer l'expression "aucun autre motif" par un terme moins catégorique. En insérant le mot "principalement" (proposition du Pierre-Alain Muet) ou "essentiellement" (proposition du Sénat) par exemple, cela donnerait davantage de marge au fisc pour contrôler les entreprises. La phrase "ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales" serait remplacée par les mots : "ils ont pour motif principal (ou essentiel) d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales".
Un débat épineux. Comme le raconte Fiscal online, le Sénat a adopté le 19 juillet un amendement en ce sens au projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale. Mais ce dernier a été supprimé mercredi à l'Assemblée, sous proposition du gouvernement. La raison ? "Toute réforme de cette procédure doit être conduite avec une grande prudence en mesurant préalablement toutes les conséquences. Aujourd’hui ce n’est pas le cas", a justifié Bernard Cazeneuve, ministre du Budget. Mais comme suggère le Canard, si l'exécutif fait marche arrière, c'est peut-être aussi pour s'éviter une fronde patronale. "J'ai déjà eu des remontées de l'Association française des entreprises privées. Il devrait y avoir un branle-bas de combat patronale", prévient l'UMP Gilles Carrez, plutôt favorable à la mesure, cité par l'hebdomadaire. Le socialiste Pierre-Alain Muet, pour sa part, n'entend pas en rester là. Le député compte bien convaincre le gouvernement dans les prochains jours, et faire voter son amendement en même temps que la prochaine loi des Finances.