Jean-Marc Ayrault a relancé le débat sur la durée du temps de travail mardi. Dans une interview au Parisien, le Premier ministre a affirmé que l'idée des 39 heures "n'était pas taboue" et a reconnu le tort des 35 heures causé à certaines petites entreprises.
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À peine ses mots avaient-ils circulé, que le chef du gouvernement trouvait le "soutien" des pourfendeurs de cette mesure, mise en place dès 2000 par le gouvernement Jospin. Jean-Marc Ayrault a beau avoir assuré ne pas vouloir supprimer les 35 heures mardi matin sur France info, la polémique est lancée.
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>>> Europe1.fr s'est demandée pourquoi le chiffre 35 a été retenu, et si les autres ne sont pas plus légitimes.
"Nous retrousser les manches"
• Pourquoi 35 heures? La mesure visait à faire travailler les salariés moins longtemps, afin de répondre à deux objectifs : libérer des postes disponibles pour réduire le chômage et accorder plus de temps aux loisirs. "Ce chiffre est un compromis obtenu après un certain nombre de calculs et de simulations effectués en comparaison avec le temps de travail dans les autres pays industrialisés et l'évolution du temps de travail en France à travers l'Histoire", décrypte pour Europe1.fr l'économiste et chercheur à l'université Paris-II, Bruno Jérôme.
"Le chiffre 35 se divise en cinq, ce qui permet de remplir une semaine de cinq jours de travail. Cela correspond à 10% de moins que 39 heures (durée légale avant 2000), une proportion que l'on peut combler à 3% par une meilleure productivité des salariés et à 7% par de nouvelles embauches", explique à Europe1.fr le socialiste Jean-Marc Germain, proche de Martine Aubry, à l'origine de la mesure.
Les défenseurs de la mesure espéraient la création de 700.000 emplois. Or selon la DARES, le service statistique du Ministère du Travail : entre 1998 et 2002, les dispositifs de réduction du temps de travail auraient permis de créer ou préserver 350 000 emplois. Par ailleurs, le dispositif coûterait 12 milliards d'euros par an aux finances publiques à cause des compensations aux entreprises, selon un rapport du Conseil d’analyse économique. Enfin, la mesure est envisageable "si les entreprises font des gains de productivité. Or, avec la crise, les entreprises sont en difficulté. Il faudrait probablement revoir ce seuil", estime Bruno Jérôme.
• Pourquoi pas 37 heures? Le seuil des 36 heures fédère très peu de soutiens, subissant les mêmes critiques que les 35 heures. En revanche, le président du Nouveau Centre, Hervé Morin, est un fervent partisan des 37 heures. "Je veux faire en sorte que nous nous retroussions tous les manches pour travailler un peu plus et faire en sorte que notre pays puisse retrouver rapidement à la fois l'équilibre budgétaire et la prospérité", avait défendu le centriste pendant la présidentielle. Mais les défenseurs des 35 heures y voient un risque pour l'emploi. Et pour beaucoup d'autres experts, le seuil est encore trop bas.
Manuel Valls, soutien des 39 heures
• Pourquoi pas 39 heures? Le seuil de 38 heures ne réunit pas beaucoup de soutiens non plus. Celui de 39, en revanche, beaucoup plus, dont celui notable de l'actuel ministre de l'Intérieur : Manuel Valls. "Est-ce que, dans le monde tel qu'il est aujourd'hui - avec la concurrence que nous connaissons -, nous pouvons nous permettre d'être sur des idées des années 1970, 1980, 1990 ? Non", avait-il soutenu sur Europe1 en janvier 2011.
Mais un tel bond n'est pas sans risque. "En passant de 35 à 39 heures, le salarié qui fait déjà des heures en plus ne se les verra plus payer en heures supplémentaires. Il perdra du pouvoir d’achat", avait à l'époque analysé Denis Clerc, éditorialiste à Alternatives économiques. "Et pour le salarié qui ne fait pas d’heure supplémentaire, il n’y a aucune raison qu’il travaille davantage. Si son entreprise ne lui demande pas d’effectuer d’heure supplémentaire, c’est que l’activité économique n’est pas suffisante", avait-il poursuivi.
"La révolution informatique ne s'est pas répercutée"
• Plus de 39 heures, voire pas de seuil du tout? Pour l'économiste Bruno Jérôme, le seuil de 39 heures est "un minimum à mettre en place dans un premier temps. Il faudra ensuite se poser la question de l'au-delà". Le Medef, lui, est contre tout seuil fixé par la loi. Le syndicat des patrons plaide pour des accords entre syndicats et dirigeants dans chaque entreprise. Un tel système est à l'œuvre en Allemagne, où la durée maximale est toutefois fixée à 48 heures.
• 32 heures, une utopie? Dans son projet présidentiel, Europe-Ecologie-Les Verts (EELV) prônait le "'travailler mieux et moins' pour 'travailler tous'" et souhaitait aller vers les 32 heures. L'idée, qui provoque une véritable levée de fourches chez les libéraux, est pourtant théorisée depuis longtemps par l'économiste Pierre Larrouturou, ex-membre du PS. "La vraie cause du chômage, ce sont les gains de productivité colossaux enregistrés depuis les années 1970. Mécaniquement, si la révolution de l’informatique ne s’est pas répercutée sur une réduction du temps de travail, elle s’est convertie en destructions d’emplois", affirmait-il en novembre 2011 au site d'information de gauche Bastamag.net.
Pour l'économiste Bruno Jérôme, il faut refaire des simulations comme cela avait été fait en 2000. "Les économistes doivent au plus vite refaire des calculs. Je suis les choses depuis longtemps, et rien n'a été fait depuis 20 ans. Ce seuil de 35 ne veut plus dire grand-chose tant la situation a évolué. Le débat est relancé aujourd'hui, les experts doivent trancher rapidement."