"On les a trouvés se tenant par la main, les yeux fermés vers d'autres matins", chantait Piaf dans ses Amants d'un jour. Georgette et Bernard, 86 ans, étaient, eux, amants de toujours. Dans la nuit de jeudi à vendredi, ils se sont donné la mort, main dans la main, dans une chambre du Lutetia, un palace parisien chargé d'histoire. Un geste délibéré et revendiqué, un manifeste pour le droit à une "mort douce", comme un point d'orgue à une histoire d'amour de tous les jours, depuis 60 ans.
Un couple de brillants intellectuels. Bernard et Georgette vivaient à Issy-les-Moulineaux, en proche banlieue parisienne. Ils s'étaient rencontrés après-guerre, à Bordeaux, à l'heure des études. Economiste et philosophe, George devient haut fonctionnaire au Commissariat général du plan. Elle, est professeur de lettres et de latin. Tous deux écrivent, publient de nombreux ouvrages et cosignent même une biographie d'un "encyclopédiste des lumières" en 1967. Parvenus à l'âge de la retraite, Georgette donnait bénévolement des cours de Français. Bernard écrivait quant à lui pour des revues, notamment littéraires.
Allongés sur le lit, main dans la main. Jeudi aux alentours de 19h30, le couple s'est présenté au Lutetia, vaisseau Art déco émergeant fièrement de Saint-Germain sur le boulevard Raspail. Leur chambre a été réservée sur Internet une semaine plus tôt. "Ils sont montés dans leur chambre, tout à fait normalement, et ne sont apparemment pas ressortis de la soirée", confie le directeur de l'établissement au Parisien, qui a révélé l'histoire. A 9h30 le lendemain matin, le garçon d'étage pénètre dans la pièce pour y servir le petit déjeuner que le couple a soigneusement commandé. C'est là, dans cette pièce au luxe discret qu'il découvre les deux amants, allongés sur le lit, main dans la main, un sac plastique sur le visage : Bernard et Georgette se sont donné la mort. Plusieurs écrits sont retrouvés dans la pièce. L'un d'entre eux, imprimé et signé de la main de Georgette, est une lettre à l'adresse du procureur.
Un suicide assumé et revendiqué. "La loi interdit l'accès à toute pastille létale qui permettrait une mort douce. (…) De quel droit contraindre (une personne) à des pratiques cruelles quand elle veut sereinement quitter la vie ?", clame Georgette dans son courrier au magistrat. Cette mort en forme d'acte philosophique, le couple l'avait envisagée depuis longtemps. "Il y a plusieurs dizaines d'années", selon leur fils, qui se confie dans les colonnes du Parisien. La maladie de l'un d'entre eux a semble-t-il actée cette volonté. "Ils craignaient la séparation et la dépendance bien plus que la mort", précise l'aîné de leurs enfants. Une mort assumée et chargée de symbole jusque dans les lieux choisis par les deux amoureux. Au crépuscule de la Seconde Guerre mondiale, c'est au Lutetia, qui accueille alors les déportés de retour des camps nazis, que Georgette avait retrouvé son père, au retour de cinq années de captivité.
Invité d'Europe 1, Bernard Devalois, chef du service de l'unité de soins palliatifs à l'hôpital de Pontoise, estime que ce suicide "n'a rien à voir avec la question de la fin de vie". Écoutez son interview :