Non, la prise d’un rendez-vous chez un médecin spécialiste plusieurs mois plus tard n’est pas une fatalité. En cas d'urgence, du moins. La Cour de cassation a en effet décidé le 6 octobre dernier que la surcharge d’un cabinet médical ne constituait pas un motif d’excuse pour ne pas avoir pris les dispositions nécessaires à la prise en charge d’un patient en situation d’urgence. Europe1.fr décrypte cette décision.
L’arrêt concerne une ophtalmologue qui, connaissant le diabète d’un patient qu’elle suivait depuis 1993, avait refusé en 2003, faute de temps d’avancer un rendez-vous prévu six mois plus tard, alors qu’elle connaissait les risques de complications dus à la maladie. Elle n’avait pas non plus pris la peine d’orienter le malade vers un collègue. Le patient avait alors contracté une rétinopathie qui a entraîné d’importants séquelles. La juridiction a estimé que le médecin aurait dû "mettre en place une surveillance accrue de son patient" et que "la surcharge des cabinets ne constituait pas une excuse, le médecin devant réserver les cas d’urgence ".
"Délai compatible"
"C’est un arrêt intéressant ", commente pour Europe1.fr Me Xavier Prugnard de La Chaise, spécialisé dans le droit médical. "Mais attention, il ne reproche pas au médecin d’avoir un carnet de rendez-vous surchargé, et n’oblige pas tous les médecins à prévoir à l’avenir du temps libre dans leur agenda pour les cas d’urgence", analyse-t-il. "L’arrêt dit surtout que si un médecin ne peut pas prendre en charge un patient en situation d’urgence, il doit prendre lui-même toutes les dispositions nécessaires pour assurer le prise en charge du patient dans un délai compatible avec son état, en le renvoyant vers un collègue ou vers un centre d’urgence." En clair, un patient peut exiger de la part d’un médecin une réponse rapide et efficace s’il est atteint d’une pathologie réclamant une réponse urgente.
Du côté des médecins, on ne peut qu’être d’accord avec cette réaffirmation des principes. "Une urgence médicale, du point de vue déontologique, on est obligés d’y faire face, ou d’orienter vers un confrère pour faire face à cette urgence. C’est un devoir déontologique que tous les médecins, généralistes ou spécialistes, connaissent", assure Jean-François Rey, président de l’Union des médecins spécialistes (Umespe), joint par Europe 1.fr.
"Limiter la paperasserie"
Sauf que dans les faits, cette attitude est de plus en plus difficilement applicable. "Il y a la théorie, et la pratique", déplore le médecin. "Avec le papy-boom, beaucoup de médecins partent à la retraite, et ceux qui restent se retrouvent avec un temps de travail de plus en plus importants, une fatigue de plus en plus importante. Et il y a un moment où de mauvaise décisions peuvent être prises. Les médecins ne sont pas des surhommes", explique-t-il.
Et pour que les médecins puissent continuer à pratiquer les meilleurs soins au plus grand nombre, il faut "dégager du temps médical", estime Jean-François Rey. "Le numérus clausus a été augmenté trop tard, donc on ne peut rien faire de ce côté-là. Il faut attendre mécaniquement l’arrivée des nouvelles générations, et on sait que ça va prendre cinq à six ans", peste le médecin, qui revendique : "Il faut limiter la paperasserie. Nous avons d’ailleurs eu une discussion assez ferme à ce sujet avec le ministre de la Santé Xavier Bertrand", raconte Jean-François Rey. "50 % des papiers que l’on remplit, des enquêtes auxquelles ont participe sont inutiles", assure-t-il.