Pierre de Cossette et Sébastien Krebs sont les deux journalistes qui ont couvert le désastre au Japon pour Europe 1. Pierre de Cossette raconte à Europe1.fr les coulisses de ses reportages diffusés à la radio.
Quel a été votre périple ?
Je suis parti de Paris dans la nuit de dimanche à lundi dans un avion de la Sécurité civile, avec une dizaine de confrères. Le but était de les accompagner pour rejoindre le nord-est du Japon. Mais, arrivés à Tokyo, nous avons dû attendre 4 ou 5 heures à l’aéroport. L'argument invoqué était des questions de responsabilité civile, d'assurance et de prise en charge par le gouvernement français. Ca nous a fait bondir, parce que c’est moins dangereux pour nous de suivre la Sécurité civile, qui est guidée par des informations sur le nuage nucléaire en temps réel, que de se rendre sur place en traversant le nuage sans nous en rendre compte.
Finalement, nous sommes restés à Tokyo, nous nous sommes fait une raison. Et mercredi, j’ai pris le Shinkansen (l’équivalent du TGV ndlr) pour aller à Osaka, au sud du Japon. Et aujourd’hui, je suis à Hiroshima : j’ai proposé une idée de reportage ici, et c’était plus rassurant d’aller vers le sud.
Je reprends l’avion demain pour Séoul, après je ne sais pas encore. Je vais peut-être repartir à Tokyo…
Lorsque vous êtes parti de Paris, le risque nucléaire était déjà connu. Avez-vous eu peur ? Avez-vous hésité à partir ?
Je ne sais pas si c’est une certaine inconscience, ou une confiance en ma bonne étoile, mais je n’étais pas inquiet en partant. Je me disais : si vraiment il ne fallait absolument pas partir on le saurait, par les autorités françaises ou les Etats-Unis. Mais nous n’en étions pas au stade où nous en sommes aujourd’hui.
Hier (mercredi, ndlr) j’ai été rattrapé par le stress quand les Etats-Unis ont annoncé que la piscine de refroidissement du réacteur n° 4 à Fukushima était à sec, et donc qu’il y avait une possibilité de fusion. Je me suis dit : ça ne sent pas bon, je n’ai pas envie de m’éterniser.
Je suis allé au Japon pour voir des choses, mais je ne peux pas accéder au nœud du problème. On ne peut même pas s’approcher des zones en question. Les journalistes sur place peuvent trouver des petits angles, des illustrations très ciblées, un peu de couleur japonaise. Mais pour le reste, nous sommes suspendus aux dépêches, aux communiqués du gouvernement japonais, etc.
Comment se passent vos journées ? Arrivez-vous à dormir ?
Il y a 8 heures de décalage horaire, donc ce n’est pas évident. J’essaye d’être en direct dans un maximum d’éditions de journaux d’Europe 1, dont celles du soir. Et j’essaye d’être debout en même temps que les Japonais, donc ça fait des nuits de 5 h à 8h.
Dans la journée, j’alterne entre des papiers factuels, pour lesquels je dois rester à la chambre d’hôtel, devant la télé et les dépêches, et des moments où je vais dans la rue à la rencontre des gens.
On a beaucoup parlé de la dignité des Japonais face au désastre. Comment cela se traduit-il dans ce que vous voyez sur place ?
A Tokyo, ce qui m’a marqué, c’est cette sérénité folle, même face au pire. J’ai pensé à la cohue pendant les grèves des transports en France… ce n’est pas la même culture !
J’ai ressenti une impression de calme, de zen. Je n’ai pas vu de panique jusqu’à présent. Ici, on garde beaucoup à l’intérieur de soi. La force de ce pays c’est sa discipline naturelle, une philosophie de vie qui fait qu’on ne se laisse pas submerger par ses sentiments.
Bien sûr, ce n’est pas du 100%. J’ai vu à la gare principale de Tokyo des mamans avec leurs enfants qui partaient vers le Sud et qui me disaient "j’ai peur".
Mais de manière générale, il n’y a pas de désorganisation. Les étals des magasins se vidaient peu à peu à Tokyo, c’est l’une des seules choses qui témoigne du désastre.