La phrase. "Le prix Nobel de la paix ne répond plus aux dernières volontés d'Albert Nobel". Alors que le monde a salué vendredi l'attribution du prix Nobel de la paix à l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC), l'opinion de Fredrik Heffermehl tranche. Ce juriste norvégien, activiste pour la paix et spécialiste du testament d'Alfred Nobel, estime que l'héritage du chimiste suédois est dévoyé. Joint par Europe1.fr, il n'hésite pas à juger qu'"il n'y a plus de prix Nobel de la paix".
Un testament oublié. Fredrik Heffermehl martèle sans relâche que les dernières volontés d'Alfred Nobel ne sont pas respectées par le comité Nobel chargé par le Parlement norvégien de désigner le lauréat du prix chaque année. Il rappelle que dans son testament, le chimiste suédois demande à ce que le prix soit remis à "la personnalité ou la communauté ayant le plus ou le mieux contribué à créer la fraternité des nations, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, à la réunion et à la propagation des progrès pour la paix". Il emploie même le terme de "champion de la paix" pour désigner les possibles lauréats.
45% des prix illégaux. "En 1895, les politiques norvégiens ont soutenu Nobel lorsqu'il a écrit son testament. Mais après la Seconde guerre mondiale, la politique norvégienne a changé. Or, le testament de Nobel, lui, est resté le même", explique Fredrik Heffermehl. D'après ses études, 45% des prix Nobel attribués depuis 1945 ne respectent pas les volontés de Nobel.
Politique et diplomatie. Pour Fredrik Heffermehl, l'attribution du Nobel de la paix répond plus à des questions politiques et diplomatiques qu'au respect du testament d'Alfred Nobel. "En 2009, le prix attribué à Obama a servi les intérêts des Etats-Unis, de l'OTAN et des pays occidentaux. Cette année, les Etats-Unis sont en conflit avec la Syrie et le prix concerne les armes chimiques. C'est encore une fois complètement dans l'intérêt des Etats-Unis", dénonce-t-il. "Le prix Nobel ne cherche plus à changer le monde", regrette-t-il encore.
Un petit pas dans la bonne direction. En 2009, Fredrik Heffermehl avait même lancé une pétition pour demander à ce que le prix attribué à Barack Obama lui soit retiré. Cette année, il ne mènera pas une telle campagne. Selon lui, en attribuant le prix à l'OIAC, le comité a refait un pas, même s'il est petit, en direction de l'esprit Nobel. "Mais ce n'est pas un prix qui remplit complètement le souhait de Nobel de la création d'une solution mondiale et d'une destruction de toutes les armes dans tous les pays", nuance le juriste norvégien.
"Ce qu'ils font est illégal". Faut-il alors arrêter de décerner un prix Nobel de la paix ? "Il faut surtout commencer à le décerner", ironise Fredrik Heffermehl. "Il n'y a plus de Nobel de la paix, c'est le prix du Parlement norvégien qui abuse du nom Nobel", dénonce le juriste. Dans un livre paru en 2008, Le prix Nobel de la paix, Ce que Nobel voulait vraiment, il décrypte en détail le testament du chimiste. Et c'est sur cette base que l'autorité suédoise des fondations, un organisme public chargé de contrôler l'activité des fondations, a ordonné au comité Nobel d'étudier les volontés de Nobel et se s'y conformer. "On les a contraints à changer, mais le comité Nobel a demandé à ce que ce soit le règlement qui soit modifié. Ce qu'ils font est illégal. Ils se comportent comme s'ils étaient au dessus des lois et des autorités publiques", s'emporte Fredrik Heffermehl.
"Quand le comité récompensera-t-il enfin des organisations de la société civile qui oeuvre à la réalisation de l'idée de Nobel d'une 'fraternisation des peuples' au-delà des frontières, des religions, des cultures ?", demande Fredrik Heffermehl. Le juriste avait même établi une liste de lauréats possibles. Parmi eux, le Bureau international de la paix basé à Genève, l'Unesco, la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté ou encore des personnalités investies dans la défense et la promotion de la paix. L'OIAC ne faisait pas partie de ses finalistes.