Une femme au volant d’une voiture. L’image peut sembler banale. Et pourtant. En Arabie Saoudite, des femmes se mobilisent depuis plusieurs semaines pour obtenir le droit de conduire. Quitte à finir en prison à l’instar de Manal Al-Sharif, emprisonnée puis libérée sous caution le 30 mai. Désormais, le mouvement baptisé Women2drive appelle à une mobilisation générale le 17 juin.
La mobilisation a commencé le 17 mai. Manal Al-Sharif, consultante en sécurité informatique de 32 ans, poste une vidéo sur Youtube. On y voit cette mère célibataire conduire et expliquer l’absurdité de l'interdiction faite aux femmes de conduire. Quelques jours auparavant, le soir, n’ayant pu trouver aucun taxi pour rentrer chez elle, ni joindre son frère pour qu'il vienne la chercher, Manal Al-Sharif a dû rentrer chez elle à pied. Et en larmes. Pour cette jeune femme indépendante, trop c'est trop. L'humiliation est insupportable. Women2drive est né.
"Nous voulons du changement dans le pays" :
"Nous sommes déjà en prison"
Approchée par Europe1.fr, la jeune femme, emprisonnée une semaine, botte en touche aujourd'hui lorsqu’on lui demande de commenter le mouvement qu'elle a pourtant lancé. “Je ne fais plus partie de cette initiative depuis un moment", répond-t-elle en renvoyant vers les pages Facebook du mouvement.
Facebook, Twitter et même Youtube… la consultation des réseaux sociaux permet de constater que les femmes, sous couvert d’anonymat, sont en effet en première ligne pour faire connaître ce combat. “Parce que nous aimons notre pays, nous nous battons pour le rendre meilleur", peut-on lire sur le site de microblogging Twitter.
"Le changement est en marche ! Nous assistons à la réécriture de l’histoire", poste une autre utilisatrice. "Je crois que les postes de police seront plein d’engagements signés par des femmes le #17juin! Nous les femmes saoudiennes, nous pouvons le faire". "Ce que nous avons appris aujourd'hui : La menace de la détention n'est pas, en fait, une menace, car nous sommes déjà en prison # Arabie.", peut-on lire sur un autre mini-message.
Sur Facebook, les soutiens se multiplient. Outre Women2drive, de nombreux groupes ont été créés pour porter la mobilisation. Certains proposent d'apprendre à conduire aux Saoudiennes, d'autres comme "klaxonnez pour les Saoudiennes" et sa chaîne dédiée sur Youtube, n'ont pour but que de montrer la solidarité de tout un chacun à travers à le monde.
"Les Saoudiennes ne seront pas réduites au silence" :
Soutenues par Taslima Nasreen
D’autres voix bienveillantes s’élèvent également pour soutenir ces femmes, comme l’écrivaine bangladaise Taslima Nasreen. Cette militante de la cause des femmes dans les sociétés islamiques, n’est pas restée insensible à ce mouvement. Sur Twitter, @taslimanasreen, en observatrice éclairée, appelle les Saoudiennes à se mobiliser : "9 millions de Saoudiennes vont conduire le 17 juin. Manal a été emprisonnée pour avoir conduit. Ils ne peuvent en emprisonner 9 millions".
"Aucune femme ne devrait garder le silence. Elles doivent protester contre le système qui les enchaîne et les considère comme des esclaves, des objets sexuels, des machines à procréer et des êtres inférieurs", analyse Taslima Nasreen pour Europe1.fr.
"En période pré-islamique, les femmes jouissaient de beaucoup plus de libertés qu’aujourd’hui. Autrefois, elles participaient même à la guerre. Elles étaient des guerrières. Où est passé cet esprit ?", s’interroge la féministe menacée de mort à plusieurs reprises pour ses prises de position. "Elles doivent se battre non seulement pour avoir le droit de conduire mais pour les droits de l’homme en général", conclut-elle.
Exclues de l'espace public
Car au-delà de la simple désobéissance civile, ce mouvement entend lancer une mutation en profondeur de la société saoudienne. Il n’existe aucune "loi officielle" interdisant aux femmes de conduire. "Il s’agit de vieilles coutumes, de traditions, de lois non écrites renforcées par un climat et par les prêches de certains religieux", souligne Karim Emile Bitar de l’IRIS.
Empêcher les Saoudiennes de conduire est donc avant tout un moyen de les exclure de l’espace public. "Sous couvert de les protéger et au nom d’arguments spécieux ou fallacieux du type "c’est plus confortable de se faire conduire" et "toutes les femmes ici ont un chauffeur", cette mesure renforce ce que les universitaires appellent "l’apartheid de genre", à savoir la mise à l’écart des femmes qui demeurent de facto sous tutelle", analyse le spécialiste du monde arabe.
"La pluie commence par une goutte"
Les Saoudiennes pourraient donc bien devenir le fer de lance d’une révolution beaucoup plus vaste car "nombreux sont les saoudiens et saoudiennes qui ne souhaitent pas rater le train du printemps arabe", précise Karim Emile Bitar.
Le 27 février, quelques jours à peine après la chute de Ben Ali, le roi Abdallah a débloqué 36 milliards de dollars pour l’emploi, la santé, le logement. "C’était une façon d’acheter la paix sociale, mais c’était oublier une chose : avant d’être des révolutions contre le malaise socio-économique, les révolutions arabes sont avant tout des révolutions pour la dignité. Et il n’y pas de question plus symbolique de ce combat pour la dignité que celle du droit de conduire des femmes", conclut-il.
Les Saoudiennes seront donc derrière le volant le 17 juin non pas seulement pour avoir le droit de conduire mais parce que, pour reprendre les mots de Manal Al-Sharif sur CNN, "la pluie commence par une goutte".