C’est une fierté en Tunisie. Le statut de la femme tunisienne, héritage du président Habib Bourguiba (1957-1987) reste à ce jour le plus avancé du monde arabo-musulman. Au regard de la loi, elles sont considérées comme l’égal de l’homme. Mais, les Tunisiennes craignent désormais que la révolution ne vienne changer la donne, notamment avec le retour annoncé des islamistes.
"A chaque fois qu’il y a un changement au niveau d’un Etat, il est normal que les femmes craignent pour leurs droits", explique Me Bochra Bel Haj Hmida, avocate et ancienne présidente de l'Association Tunisienne des Femmes Démocrates. "J’espère que les femmes vont se mobiliser pour négocier avec les candidats pour maintenir et obtenir plus de droits".
Des droits acquis il y a cinquante ans
Ces droits, les Tunisiennes les ont acquis il y a plus de cinquante ans. En 1956, à peine arrivé au pouvoir, Habib Bourguiba lance un vaste chantier de modernisation de la Tunisie dont l’indépendance vient d’être proclamée. Féministe convaincu, le président choisit de miser sur les femmes pour incarner une Tunisie moderne.
Le 13 août 1956, il promulgue le code du statut personnel (CSP). Ce texte est une petite révolution. Il rend la scolarité obligatoire pour les filles comme pour les garçons, donne aux Tunisiennes le droit de vote, abolit la polygamie, instaure le divorce, fixe à 17 ans l’âge légal du mariage des filles, rend obligatoire leur consentement et attribue à la mère l’autorité sur les enfants en cas de décès du père. Un an plus tard, lors de l’entrée en vigueur de la loi, le président Bourguiba interdit le port du voile dans les administrations et les lieux publics. En 1973, soit deux ans avant la France, l’avortement est autorisé en Tunisie.
Les femmes présentes dans tous les secteurs de la société
Aujourd’hui, les résultats sont là. Plus de la moitié des étudiants sont des étudiantes. Les femmes ont investi en masse tous les secteurs de la société mais aussi et surtout les postes à responsabilité. "Elles représentent actuellement 30% de la population active du pays, leur taux de présence à des postes décisionnels ou à responsabilité s'élève aussi à 30%, elles constituent 33% des effectifs du corps judiciaire , magistrats et avocats, 42% du corps médical, et dans les universités, 60% des étudiants sont des jeunes filles", expliquait en septembre 2010 , le ministre des Affaires étrangères du gouvernement Ben Ali, Kamel Morjane, devant la 65ème Assemblée générale de l’ONU.
Même constat en politique. Si la parité n’est pas parfaite, la représentation des femmes est bel et bien là. Elles représentent 30% des élus à la Chambre des députés et 16% à la Chambre des conseillers.
L’ombre des islamistes
Pour les femmes, il est donc hors de question de perdre les acquis des années Bourguiba. Car la chute du président Ben Ali pourrait redistribuer les cartes. Les regards se tournent notamment vers les islamistes.
"L’islamisme existe dans notre société. Les islamistes n’ont jamais quitté le pays. Ils ont le droit de se présenter aux élections", souligne Me Bel Haj Hmida. "C’est à nous de travailler pour gagner les élections".
Une soif de liberté
Après plus de vingt ans d’oppression, les Tunisiennes ont avant tout soif de liberté. De toutes les libertés, y compris celle de porter le voile. Car certaines femmes veulent aussi pouvoir exprimer leur foi sans subir le regard des autres. "J'ai beaucoup souffert en tant que femme parce que je porte le voile", témoigne Nawel, une Tunisoise de 28 ans à Europe1.fr. "Sous le pouvoir de Ben Ali, il n'y avait pas de travail pour les voilées.... C'était terrible. J’aimerai pouvoir porter mon voile sans subir de pression, avoir la liberté de mes choix", poursuit-elle.
"Cette révolution est aussi belle qu’inattendue", conclut Bouchra Bel Haj Hmida. "Les gens ont repris goût à la politique. Ils apprennent à discuter dans la sérénité. Désormais, il faut qu’ils s’inscrivent sur les listes électorales, qu’ils fassent tout pour sauvegarder et faire progresser les droits de chacun".