Le générique montre le présentateur cravaté en train de courir au ralenti. La caméra tournoie autour d'un plateau ultra design. Des jeunes femmes se trémoussent sur une musique endiablée, accompagnées par l'invité, une star internationale du judo, qui ne boude pas son plaisir. L'animateur prend la parole et lance dare-dare une vanne sur une comédie musicale nord-coréenne, images à l'appui.
Rythme et musique. Non, vous ne regardez pas un talk-show américain, mais Le Before du Grand Journal, une nouvelle émission que vient de lancer Canal+. Pour le premier numéro, le 16 septembre, l'animateur Thomas Thouroude recevait Teddy Riner pour 40 minutes ponctuées de blagues préparées, de sketchs avec l'invité en plateau et de courts montages vidéo, le tout en rythme et en musique.
Le late show, une institution aux USA. Le Before a repris plusieurs codes classiques à la télévision américaine, habituée aux vannes pré-écrites d'animateurs enjoués et aux prestations déjantées d'invités qui ne sont pas là pour se prendre au sérieux. Aux Etats-Unis, ce cocktail fait depuis un demi-siècle le succès des late night shows, ces émissions du soir où tout est scénarisé, préparé, répété pour se prémunir de tout moment de flottement. Leurs présentateurs sont de véritables stars outre-Atlantique. Ils s'appellent Jay Leno, Stephen Colbert ou encore David Letterman, qui a déjà reçu Barack Obama dans son émission (photo).
"Un fantasme d'animateur français". Les tentatives d'imitation de la la télévision française ne datent pas d'hier. "Reprendre les codes des late shows, c'est vraiment un classique", explique à Europe1.fr Bertrand Villegas, fondateur de la société The Wit, qui observe les tendances de la télévision dans le monde. "C'est un fantasme d'animateur français. Tous en ont rêvé, de Michel Drucker à Antoine de Caunes".
Le copié-collé d'Arthur. Christophe Dechavanne avec Coucou c'est nous, ou Thierry Ardisson avec Tout le monde en parle puis Salut les terriens, ont été des précurseurs. Plus récemment, l'importation la plus flagrante des codes du late show est signée Arthur. Depuis 2010 sur la chaîne Comédie+, et depuis mai dernier sur TF1, l'animateur propose Ce soir avec Arthur. Animateur assis derrière un imposant bureau, invité installé en face dans un fauteuil, décor de ville illuminée : le concept est un quasi copié-collé du Late Late Show de l'Américain Craig Ferguson, diffusé sur CBS. Celui-ci s'en était d'ailleurs amusé à l'antenne en novembre 2010 :
Des talk-shows en mode late shows. Sans aller aussi loin dans l'imitation, des émissions apparues récemment dans le PAF ont trouvé leur inspiration aux Etats-Unis. Aux commandes du Petit Journal de Canal+, Yann Barthès a repris les ingrédients du célèbre Daily Show de Jon Stewart, qui se moque des politiques à grand renfort de montages et de mimiques. Un vent américain souffle aussi sur Jusqu'ici tout va bien, le nouveau talk-show de Sophia Aram sur France 2. Grande scène, émission très centrée sur l'animatrice-humoriste, défis lancés aux invités… Mais la mayonnaise a du mal à prendre.
Le risque du bide. Antoine de Caunes cherche visiblement à insuffler ce même esprit au Grand Journal de Canal+, qu'il présente depuis la rentrée, notamment en faisant jouer aux invités des interventions préparées… quitte à risquer le bide ! Dernier exemple : cette bagarre provoquée par Elie Semoun sur le plateau vendredi dernier était en réalité un sketch, mais peu de téléspectateurs l'ont compris sur le moment... "Ce n'était pas de très bon goût", a d'ailleurs reconnu l'humoriste mardi.
Réticence des people. "Avec un Dustin Hoffman, cette séquence aurait peut-être fonctionné", relève Béatrice Swiecka, directrice TV de l'agence Carat, qui estime que le manque d'enthousiasme des célébrités françaises pour ce type d'exercice explique les difficultés à adapter des formats américains. "Les personnalités françaises ont une haute estime d'elles-mêmes", poursuit-elle. "Au contraire, les Américains savent être dans l'autodérision totale." Bertrand Villegas abonde : "En France, on arrive à peu près à trouver des animateurs-comédiens. Mais en face, il y a zéro préparation chez les invités, qui refusent de jouer le jeu." Et de citer l'exemple de Thierry Ardisson, qui "a instauré le late show à sens unique : il est celui qui se rapproche le plus de l'animateur américain brillant et drôle, mais ses invités n'ont aucune repartie !"
Une barrière culturelle ? La télévision française arrivera-t-elle un jour à importer le late show avec succès ? "On n'est pas loin du but", affirme Bertrand Villegas, qui estime que la participation active des invités est la dernière étape. Mais Béatrice Swiecka s'interroge sur le sérieux obstacle que constitue la différence culturelle. Selon elle, "le problème est le même que pour les séries. On a toujours trop tendance à vouloir imiter les Américains et on fait généralement moins bien". Reste une solution : la créativité.