Ce jeudi est la date limite où le ministère de la Santé doit rendre à la Commission européenne un projet de réforme limitant à 48 heures hebdomadaires le temps de travail des internes en médecine. Fin mars 2014, l'Europe avait lancé une procédure de sanction envers la France, accusée de trop faire travailler les étudiants en médecine dans les hôpitaux publics. Dans un communiqué, l'Intersyndical national des internes (ISNI) qui a participé aux réunions de concertation, juge ce projet "illégal" et fait la liste de ses griefs.
La réponse "illégale" de Touraine à l'Europe ? Le projet de réforme proposé par Marisol Touraine propose, pour abaisser le temps de travail à 48 heures, de retirer une demi-journée, jusque-là consacrée à la formation universitaire et comptabilisée officiellement dans le temps de travail.
Mais l'ISNI affirme que le projet de réforme "ne tient compte ni des propositions des internes, ni du droit européen", en effet, il "ne comptabilise pas comme temps de travail toutes les obligations de service des internes".
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Un temps d'étude non respecté. Pour l'ISNI, enlever une demi-journée d'étude "risque d'impacter gravement la qualité de la formation des futurs professionnels de santé".
Mickael Benzaqui, secrétaire général de l'ISNI, explique à Europe 1 : "Le temps d'étude universitaire est nécessaire à l'interne pour rédiger un mémoire de master ou suivre un DU (diplôme universitaire). Par exemple, un interne a l'obligation de suivre un DU en échographie s'il a fait le choix de la cardiologie". Mickael Benzaqui précise aussi qu' "alors qu'ils payent chaque année 500 euros de droits universitaires, les internes ont parfois du mal à assister à leurs cours car les hôpitaux refusent de les libérer".
60 heures par semaine. Le Code de la Santé publique fixe actuellement à 11 demi-journées (du lundi matin au samedi matin) la durée de travail des internes. Elles se partagent entre deux demi-journées consacrées à l'étude et neuf de "stage" en hôpital. Le Code spécifie aussi que les internes doivent au minimum cinq gardes par mois, dont une le dimanche qui n'est pas payée plus qu'une garde de semaine.
Le tout représente "en moyenne 60 heures de travail hebdomadaire" pour les internes en médecine et "en moyenne 90 heures par semaine pour les internes en chirurgie" rapporte Mickael Benzaqui qui se fonde sur une enquête de l'ISNI datant de 2012. Le salaire est de 1.350 euros nets mensuels en début d'internat et 1.900 à la fin, à quoi se rajoutent les gardes, payées 106 euros chacune. Le secrétaire général dénonce "une mauvaise organisation administrative où les internes sont une variable d'ajustement qui ne coûte pas plus si on décide de plus les faire travailler". Les heures supplémentaires ne sont en effet pas payées.
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L'oubli des astreintes. Pour l'ISNI, en plus de léser la formation universitaire, "le ministère dissimule sciemment la réalité du temps de travail effectué par les internes" en ne prenant pas en compte "le statut des astreintes". En plus des gardes, les internes peuvent "être d'astreinte" sur un samedi, un dimanche ou bien une nuit de semaine. Ils doivent alors se tenir à disposition au cas où l'hôpital ait besoin d'eux. S'il doit se déplacer pour un patient, l'interne est alors payé 60 euros quelle que soit la durée de travail.
"Des journées de 36 heures". Le Code de la Santé publique oblige à une durée de repos de 11 heures après une durée de travail de 24 heures. Mais dans 30% des cas, les internes ne bénéficient pas de repos après une journée de travail suivie d'une nuit de garde. La faute à des chefs de service qui refusent de l'accorder selon Mickael Benzaqui.
Delphine, une dermatologue parisienne qui vient de finir son internat confirme à Europe 1: "C'est le fameux 'sacerdoce de la blouse blanche'. Devenir médecin, c'est comme rentrer dans les ordres avec des chefs de service parfois rétrogrades. Ils estiment que parce qu'ils en ont bavé pendant leurs études, ça doit être pareil pour les internes d'aujourd'hui. Mais faire une garde dans un hôpital parisien aujourd'hui, c'est pas comme une garde dans les années 70 où il y avait beaucoup moins de patients". Et elle raconte le cas aberrant d'un ami interne en orthopédie "qui enchaîne une journée de travail, une nuit de garde et encore une journée de travail pendant laquelle il opère des gens de la colonne vertébrale. Et quand il se plaint, ses chefs lui rient au nez".
Le projet de réforme destiné à la Commission européenne ne mentionne pas cette question qui préoccupe pourtant les syndicats étudiants. Le Ministère se refuse pour l'instant de sanctionner les hôpitaux qui ne donnent pas les repos de garde à leurs internes.
Que répondra la Commission européenne ? L'ISNI et le ministère se rassurent chacun de leur côté. Mickael Benzaqui l'affirme : "C'est quasiment sûre qu'elle va retoquer ce projet. Le Ministère cherche juste à gagner du temps. Il sera obligé de plier un jour ou l'autre".
Le Ministère annonce de son côté qu'"il appartient à la Commission européenne de confirmer que la réponse de la France lève bien les griefs qu'elle a formulés à son encontre". Il assure avoir "travaillé depuis plusieurs mois en lien avec les internes, les responsables hospitaliers et les doyens d'universités pour satisfaire, dans les délais impartis, aux exigences" de Bruxelles.
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