Une réflexion de 140 caractères sur le coaching de Raymond Domenech, une photo dans le luxueux hôtel Pezula à Knysna, voire un selfie dans le bus pris pour quitter l'entraînement : a posteriori, le naufrage de l'équipe de France en Afrique du Sud en 2010 aurait pu avoir un retentissement 2.0 plus grand encore. Il y a quatre ans, le tout réseaux sociaux n'en était qu'à ses balbutiements.
La Fifa elle-même met Ribéry en scène avec une tablette :
Learn about FIFA's development work, get live results & interact with 3m fans with FIFA's app. http://t.co/ssVqHv2Lkypic.twitter.com/XYp1PmxbJy— Joseph S Blatter (@SeppBlatter) March 27, 2014
Une possible "source de conflit". Mais aujourd'hui, les acteurs du foot ne peuvent plus se passer de Twitter, Facebook ou Instagram. Cette accoutumance, qui concerne une grande partie des joueurs, le sélectionneur de l'équipe de France, Didier Deschamps, l'appréhende. "Il y a de bons côtés avec l’apparition des réseaux sociaux et des différentes formes de communication mais je vais être vigilant car ça peut être source de conflit", reconnaissait le sélectionneur le mois dernier. "J’y réfléchis, on va voir ce qu’il est possible de faire." D’après les informations d’Europe 1, Deschamps et son staff ont tranché. Sans prononcer une interdiction en bonne et due forme, ils auraient décidé de déconseiller aux joueurs de publier des tweets ou des messages Facebook sur leurs comptes personnels durant la préparation de la Coupe du monde et, a fortiori, pendant la compétition elle-même.
Moins d'un Bleu sur deux actif sur Twitter. A quelle situation se mesure Deschamps ? Si l'on s'en tient à la liste des 23 joueurs retenus pour affronter les Pays-Bas en match amical début mars, on constate qu'ils sont moins d'un sur deux (10 sur 23) à être des utilisateurs réguliers de Twitter : Sakho, Varane, Mangala, Digne, Cabaye, Matuidi, Guilavogui, Griezmann (ici en photo avec Digne), Payet et Giroud, ce dernier étant le seul à avoir un compte non certifié, mais protégé. C'est aussi le seul à avoir utilisé Twitter dans le cadre d'une affaire. En février dernier, après avoir été pris en photo en slip dans une chambre d'hôtel par un mannequin, il avait présenté ses excuses, en plusieurs temps, et notamment à la veille d'affronter le Bayern Munich en huitièmes de finale de Ligue des champions. Avant d'être mis sur le banc.
Dans cette liste de twittos, on note l'absence des grands noms, dont Karim Benzema qui préfère s'exprimer sur Facebook - et de manière très formelle -, ou les duettistes Franck Ribéry et Patrice Evra, dont les sorties médiatiques sont les plus spectaculaires. On imagine mal ces deux-là "lâchés" sur Twitter... C'est davantage la jeune génération, la plus encline à se livrer - Digne, Griezmann, Mangala -, que Deschamps entend "border" avec cette interdiction qui ne dit pas son nom.
Et les femmes dans tout ça ? Mais ce n'est pas tout. Car il y a l'entourage aussi. Deschamps avait confirmé au micro d'Europe 1 que les épouses et compagnes pourraient voir les joueurs pendant la compétition. "Si elles sont là, ils pourront bien évidemment les voir, ça a toujours été le cas sur toutes les compétitions, depuis de longues années", a-t-il souligné. Or, si certains joueurs majeurs de l'équipe de France ne sont pas sur Twitter, ce n'est pas le cas de leurs épouses, toujours très enclines à défendre leurs champions de maris.
In the train , back to london . #happyface#proud#francepic.twitter.com/EdY73lQaja— marine lloris (@marinelloris) November 20, 2013
Marine Lloris, femme du capitaine des Bleus, est ainsi très active sur le réseau social, tout comme Ludivine Sagna, épouse de Bacary. Or, la situation peut vite déraper : lors du Tour de France 2012, un tweet de la compagne de Chris Froome avait semé la zizanie chez Sky avec son coéquipier Bradley Wiggins... Peut-être que les compagnes seront, elles aussi, soumises à un impératif de discrétion.
Eviter le "grand incendie". "Il y a une vie en interne qui a besoin d’être protégée", a insisté le sélectionneur. Lui comme beaucoup de Français gardent en mémoire la Une de L'Equipe pendant le Mondial 2010, qui reprenait l'insulte de Nicolas Anelka envers Raymond Domenech (en prenant quelques libertés avec la réalité des mots, d'ailleurs), prononcée dans le "secret" du vestiaire. "Je ne pense pas que ce soit nécessaire d’être là (dans la compétition) et de donner encore plus matière à débat. Des débats, il y en aura déjà beaucoup", souligne "DD". "Autant dans la vie de tous les jours, je dis pourquoi pas, mais on le voit aujourd’hui, il y a des côtés néfastes à cette communication instantanée, permanente et à ce qui s'ensuit : l’interprétation, la réaction des uns et des autres. Une petite étincelle peut rapidement devenir un grand incendie."
Et, à ce titre, il pourrait être utile non seulement de limiter ce qui sort mais aussi de filtrer ce qui entre… Le sélectionneur aimerait sans doute que ses joueurs adoptent la même philosophie que lui : à savoir "ne rien lire" et "ne rien écouter" pendant la compétition. N'est-ce pas une réflexion d'un journaliste du quotidien L'Equipe qui avait mis hors de lui Samir Nasri lors du dernier Euro ? Son geste, index pointé sur la bouche, n'avait pas franchement apporté de la sérénité dans le groupe France, c’est le moins qu’on puisse dire. Et quand on voit les critiques acerbes et parfois les messages de haine qui fleurissent sur les réseaux sociaux...
Payet est inscrit sur Twitter mais twitte peu :
Je ne serai pas le plus actif sur Tweeter mais présent quand il le faudra. Je lirai vos messages. Merci— Dimitri Payet (@dimpayet17) July 10, 2013
Des joueurs devenus accros. Le premier objectif d'un sélectionneur reste de s'assurer que le "groupe vit bien" et surtout "ensemble". Une tarte à la crème, peut-être, mais une problématique réelle, qui peut s'appliquer à tout groupe social : comment éviter que les technologies prennent le pas sur les rapports humains ? Plus que la dérive sur Twitter - on l'a vu, peu de Bleus l'utilisent et l’interdiction tacite devrait faire son œuvre -, c'est l'aspect chronophage et désocialisant des nouvelles technologies que craint tout sélectionneur. Des mesures ont déjà été prises à ce niveau au château de Clairefontaine, où les Bleus effectueront toute leur préparation à la Coupe du monde à partir de la mi-mai : un brouilleur a été installé il y a deux ans afin d'éviter les conversations nocturnes. Pour le moment, son utilisation n’est pas prévue…
Des casiers seraient en outre réservés aux smartphones. Aujourd'hui, ces derniers squattent autant les mains des footballeurs que le ballon leurs pieds. Lors d'un récent rassemblement des Bleus, un cadre de l'équipe n'avait ainsi pas hésité à solliciter l'encadrement tricolore en soirée afin de récupérer une tablette, la sienne étant tombée en rade. Pour Deschamps et son staff, priver (autant que faire se peut) les joueurs de smartphones et de tablettes, c'est leur couper un lien vers l'extérieur mais aussi leur garantir un minimum d'heures de sommeil, ce qui n'est pas forcément un luxe quand on dispute une compétition avec un match tous les cinq jours. On imagine facilement que ces mesures vont malgré tout faire l'objet de discussions. Car, pour un entraîneur, il y a pire que de voir ses joueurs une tablette à la main : les savoir remontés contre lui. Et pas forcément sur Twitter.
INTERVIEW E1 - Didier Deschamps cuisiné par les stars d'Europe 1