"Cher Michael,
On s'est connu au cœur de l'été 1991 lors du Grand Prix de Belgique. A l'époque, la F1 ne parlait que du pilote belge Bertrand Gachot, privé de volant pour avoir insulté un taxi, un comble. C'est alors qu'on t'a vu monter dans le baquet de la Jordan. Visage ferme, regard plein d'assurance et coup de volant incroyable : tu n'as pas mis beaucoup de temps à nous convaincre de ton talent. Ce filou de Flavio Briatore non plus. Il t'a débauché et, dès le Grand Prix suivant, tu étais dans le baquet de la Benetton, plus puissante, plus à la mesure de tes ambitions : l'année suivante, tu gagnas ton premier Grand Prix, en Belgique, sur un circuit que tu adores, car il révèle les pilotes qui en ont, du courage.
Quelques semaines avant ce premier triomphe, tu t'accrochais avec Ayrton Senna au Grand Prix de France (il existait, à l'époque). Le Brésilien t'appelait "l'Allemand". Il ne t'a jamais porté dans son cœur. Peut-être avait-il senti que tu serais son successeur.
C'est intervenu dans les larmes lors de la saison 1994. Ce premier titre, tu es allé le chercher, non pas contre ton défunt rival, mais contre la FIA, qui avait décidé à tout prix de relancer la saison, à force de pénalités, de déclassements et de courses de suspension. Forcément, le sacre fut à l'image de ton style de pilotage : limite. Tu es allé percuter volontairement ce pauvre Damon Hill, qui n'avait rien demandé et sans doute pas à être en course pour le titre face à un acharné comme toi.
Cette "fermeture de porte", on te l'a beaucoup reprochée, mais le grand Senna n'avait-il pas fait exactement la même chose en 1990, quand il avait volontairement causé la collision avec Prost pour décrocher son deuxième titre de champion ? Sauf que toi, tu n'as jamais clairement revendiqué ce geste commis à chaud. Timide ? Calculateur ? Pas ton style en tout cas. Tu n'a jamais fait de publicité non plus autour de tes engagements humanitaires, pour l'Unesco, en Bosnie, au Sénégal ou au Pérou. Ta méchanceté au volant t'a collé à la peau. Il faut dire que tu y a mis du tien. En 1997, tu retentas le même coup qu'en 1994 avec Jacques Villeneuve. Mais, cette fois, c'est toi qui restas sur le carreau.
Triste effet de la mémoire sélective. Alors que personne n'a jamais gagné autant que toi dans un baquet de F1 (7 titres de champion du monde, 91 victoires en Grands Prix), parfois sous la pluie, souvent devant les tifosi, les premiers souvenirs qui affleurent sont ceux d'accrochages où tu n'a jamais eu le beau rôle. Les deuxièmes, ce sont ceux de ta domination écrasante avec Ferrari : cinq titres consécutifs, 72 victoires. Jamais personne n'avait autant gagné avec le Cheval cabré.
Entre 2000 et 2004, tu avais construit autour de toi une citadelle imprenable avec ton ingénieur Ross Brawn, ton boss Jean Todt et ton coéquipier Rubens Barrichello. Certains ne manquent pas de rappeler que, lors de tes cinq titres chez Ferrari, tu n'a pas eu l'opposition interne que tu méritais (ou que tu as refusée). Lauda a eu Prost (entre autres), Prost a eu Senna. Pas toi. Pourtant, un de tes coéquipiers a bien failli être champion du monde : Eddie Irvine. En 1999, tu t'étais fracturé une jambe à Silverstone. Quelques mois plus tard, tu étais de retour dans le baquet de la Ferrari pour aider l'Irlandais à être champion du monde. En vain. Deux places de deuxième (dont une après que t'as laissé gagner Irvine) ont prouvé ta capacité à te remettre de tout.
Comme tous les champions qui écrasent leur discipline, c'est dans la défaite qu'on a commencé à davantage à t’apprécier. En 2005, tu as vu émerger Fernando Alonso. Quel duel vous nous aviez offert, à Saint-Marin, en 2005 : 215 millièmes de secondes d'écart à l'arrivée. En ta défaveur. En 2006, tu passas très près du titre. Tu luttas jusqu'au bout (la plupart du temps avec fair-play, allez, on oublie quand tu t'étais arrêté volontairement dans un virage à Monaco pour gêner Alonso en qualifications), et même jusqu'au bout du bout. Ton dernier Grand Prix, splendide, avec retour de la 19e à la 4e place, fut insuffisant dans ta quête d'un huitième titre mondial. A l'issue de cette saison 2006, tu choisis de te retirer, au sommet ou presque.
Mais, quand on a la course dans le sang comme tu l'as, on ne s'en débarrasse comme ça. Et, trois ans plus tard, tu repris du service au volant de la Mercedes pour entamer la saison 2010. Une marque allemande, Ross Brawn à tes côtés et l'expérience de 16 ans de F1 : voila qui avait de l'allure. Mais ton retour ne fut pas un grand succès, loin de là. Paradoxalement, c'est lors de ta moins bonne saison, la dernière, que tu décrochas ton seul podium de ta deuxième carrière, en Europe, derrière deux autres champions du monde, Alonso et Räikkönen. Classe, à 43 ans. En fin de saison, repoussé à une indigne 13e place au championnat du monde, ton plus mauvais classement avec 1991 - où tu n'avais disputé que six courses -, tu décidas de te retirer. Ne t'inquiète pas, avec Sebastian Vettel, l'avenir de la F1 en Allemagne est assuré.
En ce vendredi 3 janvier 2014, tu fêtes ton 45e anniversaire. Cela fait à peine plus d'un an que tu as lâché le volant mais tu ne peux pas t'empêcher de continuer à faire du sport. On t'a toujours vu ballon au pied, toi le grand amateur de foot. Après ta première retraite, on t'a souvent vu à moto. Après la deuxième, on a évoqué un temps une possible reconversion dans le rodéo, toi qui avais l'habitude de faire tourner tes adversaires en bourrique. Mais, finalement, non, depuis ton départ des circuits, tu avais choisi de te faire discret, préférant la sérénité familiale au brouhaha des paddocks.
On te comprend, mais nous, on a envie que tu nous fasses partager ton expertise, par écrit ou au micro, comme tes anciens rivaux Alain Prost ou Jacques Villeneuve. On a encore envie de voir ce sourire carnassier qui a incarné la F1 pendant tant d'années et, au-delà, une certaine idée de l'excellence. Alors, résiste à la tentation d'aller refaire la course là-haut avec Senna et reste avec nous.
Joyeux anniversaire Michael et à très bientôt."
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