Luc Besson a-t-il droit à un "traitement spécial" de la part des critiques cinéma ? Une fois de plus, ces derniers n'y sont pas allés de main morte à la sortie de Lucy, le dernier film de Luc Besson. Pourtant, le scénario était plutôt très alléchant : l'histoire d'une étudiante qui voit ses capacités intellectuelles se développer à l'infini. Le casting non plus n'avait rien pour déplaire, entre la blonde héroïne Scarlett Johansson, récemment passée de l'ovni Under the skin à ce blockbuster à la française et Morgan Freeman, qui incarne le scientifique du film, pour ne rien gâcher.
Sans surprise, la presse s'est montrée intraitable. Mais finalement, peut-on être critique cinéma et oser dire du bien de Luc Besson ? Les chroniqueurs-ciné n'ont-ils pas pris l'habitude, quel que soit le film, de tirer à boulets rouges contre lui ? Europe 1 a posé la question à trois journalistes culture.
>>> Stéphane Gobbo est journaliste culture à L'Hebdo et blogueur, Olivier Pérou est journaliste culture pour Le Point et Ursula Michel est journaliste culture pour Slate et Critikat.
#Traitementspécial ? Et non, se défendent-ils, il n'y a pas de traitement spécial pour Luc Besson. Ses films, les journalistes interrogés par Europe 1 vont les voir avec le même espoir, celui de ne plus être déçus. Car pour tous, Besson reste le réalisateur de Nikita, de Léon ou du Grand Bleu. Luc Besson donc, a fait "du très bon cinéma", affirme Olivier Pérou. "Cette fois encore, on espérait, on se disait qu'il arrivait avec un vrai projet", confie-t-il, évoquant Lucy. Ceux qui ne semblent plus rien lui passer avouent même volontiers être toujours "fans de Nikita", comme Ursula Michel. Seulement voilà, Besson, depuis quelques années, déçoit, même dans les rangs de ses plus fervents admirateurs. Et ceux-ci, ne sont pas à court d'arguments sur le fond.
#Indigeste. Quand on demande à Ursula Michel ce qu'elle a pensé de Lucy, elle ne mâche pas ses mots. "Malheureusement pas beaucoup de bien", répond-elle. "Le scénario se révèle rapidement indigeste, bourré d'incohérences. Sans compter un montage elliptique et une incapacité à gérer une idée de départ pourtant alléchante." Sur le plan des effets spéciaux, Olivier Pérou est catégorique : "Ils sont complètement surréalistes. Même dans Taxi on ne voit pas des scènes de carambolages pareilles entre des voitures de flics. Pitié, on ne peut pas faire ça…!", clame-t-il.
#Paresseux. "Le problème de Luc Besson, c'est qu'il veut atteindre une efficacité narrative mais avec des tics de réalisation très paresseux", analyse Stéphane Gobbo. "Un étudiant en cinéma ferait ça, on le recalerait directement !", assène le journaliste. "Dans Lucy, Scarlett Johansson passe sans transition de l'étudiante idiote à la serial killeuse!", s'indigne de son côté Olivier Pérou. "Il y a trop de facilités, à tel point qu'on a l'impression que Luc Besson reprend une série de codes qu'il a déjà exploités : le flic est le sosie de Samy Nacéri, on a déjà vu et revu Morgan Freeman en vieux sage et on a droit à Choi Min-Sik (Old Boy), en cliché de Coréen sanguinaire..." Pour Ursula Michel, "dans Lucy, comme dans The Lady, Luc Besson fait son paresseux niveau mise en scène et on sent à plusieurs reprises qu'il ne sait pas où il va avec son personnage."
#Méprisant. Autre raison avancée pour expliquer ce désamour : Luc Besson mépriserait le spectateur en le prenant pour plus imbécile qu'il ne l'est. "Dans son dernier film, alors que Lucy va tomber entre les griffes d'un mafieux coréen, Luc Besson file une métaphore animale", raconte Stéphane Gobbo. "Il compare l'héroïne à une jeune gazelle et le mafieux à un guépard, et nous rabâche ça pendant cinq ou six minutes. Non seulement c'est très facile, mais il y a même un relent assez misogyne dans cette comparaison entre Scarlett Johansson et une frêle gazelle", estime le journaliste.
#Perdu. "Il y a bien longtemps que le réalisateur du Grand Bleu est perdu pour le cinéma", affirme Stéphane Gobbo dans les colonnes de L'Hebdo. Il y aurait donc eu un tournant dans son œuvre ? "Dans l'expérimental Le dernier combat ou dans Subway il y avait quelque chose de novateur", avance le journaliste. "Luc Besson essayait d'apporter quelque chose, avec un type de narration plus américain, plus efficace. Il y avait des trouvailles. Mais il est ensuite tombé dans son propre piège." Ursula Michel, elle, reste "une fan inconditionnelle de Nikita. Et jusqu'au Cinquième Elément, son cinéma demeure intéressant, ou ludique tout au moins", confie la journaliste. "A partir d'Angel A, il oublie le plaisir gamin qui l'animait avant. Luc Besson est un excellent producteur mais son talent de réalisateur s'est d'évidence évaporé depuis quatre films au moins." Olivier Pérou est du même avis : "Luc Besson a fait de grands films, marquants, Nikita, Léon, Le Grand Bleu et même Le Cinquième Elément. Depuis, c'est difficile."
#Imposteur. "Ce que je lui reproche le plus", affirme Stéphane Gobbo, "c'est que Luc Besson s'inspire de nombre de grands réalisateurs, mais sans avoir digéré leurs influences. Le tournant correspond peut être au Cinquième élément", précise le journaliste. "Il y cite Taxi Driver, ou Blade Runner, sans assumer ses clins d'œil, contrairement notamment à Quentin Tarantino, qui, en plus de les assumer, en fait quelque chose, lui. Luc Besson donne l'impression qu'il réinvente quelque chose (il ne cite d'ailleurs jamais ses influences dans ses interviews) et c'est ce qui m'agace vis-à-vis du jeune public notamment. Ce dernier pense qu'il est un pur génie, alors qu'il n'invente absolument rien. Il recycle tout, et d'une manière assez malhonnête", dénonce Stéphane Gobbo. Même son de cloche du côté d'Ursula Michel évoquant Lucy : "Luc Besson n'est pas Terrence Malick, l'auteur de The Tree of Life, et ses réflexions sur l'origine du monde sont simplistes (bien que cela soit sans doute la partie du film la plus réussie). Il n'a pas le courage de proposer une vision personnelle de l'avant big-bang."
#Businessman. Luc Besson n'est autre, sous la plume de Stéphane Gobbo, qu'un "artisan devenu un industriel". Selon le journaliste, il y a eu "un tournant", qui correspond certainement "au moment où il a fondé EuropaCorp, sa société de production". Le réalisateur de Taxi est alors devenu "à la fois scénariste et producteur". Il cherche depuis à faire "un cinéma commercial, en essayant d'adapter des recettes pour que ça marche", explique Stéphane Gobbo, rejoint sur ce point par Olivier Pérou : "On a l'impression que Luc Besson aujourd'hui ne se casse plus la tête à être réalisateur", tranche le journaliste. "Il propose ce que le public va aimer", renchérit Stéphane Gobbo.
#Label. Malgré tout, le public est au rendez-vous…"Luc Besson est un bon producteur", rappelle Ursula Michel. "Il joue le jeu de la promotion à fond. D'autre part, il demeure en France, le réalisateur honni des critiques, pour de mauvaises raisons fut un temps, et il joue encore de cette détestation pour se poser comme le grand entertainer français que l’intelligentsia parisienne méprise. Cette posture finira par le perdre mais pour Lucy, il faut croire que la méthode fonctionne encore." "Lucy, c'est du film qu'on consomme très facilement", explique pour sa part Stéphane Gobbo. "On peut passer un très bon moment, même si on trouve qu'il y a des faiblesses, mais c'est un film qui ne demande aucun investissement. C'est vraiment le film produit qui se consomme avec du pop corn le samedi soir et qui ne va pas plus loin. C'est comme un clip de MTV, on prend des images plein la figure, c'est distrayant, et on oublie. Les gens y vont parce que Luc Besson, ça reste pour une génération, des films marquants, Subway, Le Grand bleu, Nikita, Léon… Besson, c'est une marque, c'est un nom", conclut-il.