Pour la troisième fois de sa carrière de sélectionneur des Bleus, Didier Deschamps a eu à choisir. Choisir 23 joueurs qui représenteront les couleurs de la France dans une grande compétition internationale de football. Après la Coupe du monde 2014 et l'Euro 2016, "DD" va révéler jeudi soir, dans le 20 Heures de TF1, son groupe pour la Coupe du monde en Russie, qui débute le 14 juin prochain. Avant lui, deux autres sélectionneurs avaient eu ce redoutable privilège à trois reprises : Michel Hidalgo (Mondial 1978 et 82, Euro 1984) et Raymond Domenech (Mondial 2006 et 2010, Euro 2008). Notre consultant était donc très bien placé pour répondre à une question que les suiveurs du football (et pas seulement eux, d'ailleurs) se posent : mais comment fait-on une liste ?
Cette liste est sans doute l'une des décisions les plus commentées, les plus critiquées, les plus fantasmées aussi, dans le domaine du sport, à tel point qu'on évoque régulièrement 60 millions de sélectionneurs. Pourtant, faire une liste, ce n'est pas si simple. "Ça m'est arrivé souvent de faire des listes et dans les dîners et quand on sortait, les gens me demandaient 'Mais pourquoi tu ne prends pas untel, pourquoi tu ne prends pas machin, comment tu vas jouer…'", raconte Raymond Domenech. "Je leur disais : 'Écoutez, c'est simple, moi, je viens boire un coup, passer une soirée tranquille… Prenez moi une feuille, mettez-y une équipe et 23 noms. Et essayez de m'organiser ça du mieux possible, et quand vous aurez fait ça, vous viendrez me voir'. En général, je passais ma soirée tranquille." Faire une liste, ce n'est pas si simple, mais ça ne veut pas dire que c'est tout le temps compliqué.
Le plus important, avoir son onze. "C'est compliqué quand on n'a pas d'éléments majeurs qui se dégagent, et quand on a un lot de 30-35 joueurs et qu'on se dit qu'on peut prendre n'importe lequel", souligne le consultant Europe 1. "Une liste, ça se construit par l'expérience des années précédentes, des matches précédents, de la manière de vivre des joueurs dans les stages précédents, de leurs performances du moment."
Le plus important pour faire une liste des 23, c'est d'abord d'avoir son onze. "Il faut avoir une équipe, une équipe dans une organisation particulière, celle qui est la plus adaptée aux joueurs. Il faut une trame et dessus, on va poser des joueurs, en fonction des choix tactiques, si on joue avec deux avant-centres, avec trois attaquants, etc. Le départ est donc lié à l'équipe que vous avez choisi de mettre en place et dans quelle organisation. Les douze noms suivants sont les remplaçants, des remplaçants qui peuvent rentrer, qui pourraient rentrer ou qui ne rentreront jamais…"
Pour faire ses choix, le sélectionneur voit des joueurs et des matches, parfois beaucoup de matches, en fonction de son mode de fonctionnement. "On a tous une manière de fonctionner et il n'y en pas une qui est moins bonne que l'autre", estime Raymond Domenech. "Elles sont toutes adaptées, mais quand on est à la tête d'une équipe depuis des années, les joueurs, on les connaît tous et on sait ce qu'ils sont capables de faire, à quels moments et dans quelles situations. Donc, oui, on voit les matches parce qu'il faut les voir, il faut qu'ils (les joueurs) sachent qu'on les a vus, ce qu'ils ont fait, qu'ils n'aient pas l'impression d'avoir été jugés comme ça, par n'importe qui ou par un journaliste qui a donné son avis…" Et dans cette réflexion, à aucun moment la vox populi n'entre en ligne de compte, selon Raymond Domenech, une vox populi qui ignore tout ou presque de ce qui se passe dans un groupe.
Le titulaire, le remplaçant et le remplaçant remplaçant. Cela aboutit à certaines incompréhensions avec le public, que les sélectionneurs prennent soin parfois de ne pas lever, sur telle ou telle absence. Éric Cantona, David Ginola ou Ludovic Giuly hier, Karim Benzema aujourd'hui. "On va vivre ensemble pendant au minimum un mois, voire plus si possible, et on réfléchit à partir ou non avec des gens dont on pense qu'ils ne sont pas adaptés à la vie de groupe ou qu'ils poseront quelques problèmes. C'est comme quand vous partez en vacances avec des amis, quand il y a des failles, au bout d'une semaine, on ne peut plus se supporter. Dans une Coupe du monde, on ne peut pas se permettre ça, donc il faut être sûr de ce qu'on fait et des gens qu'on emmène, en fonction de leur place, titulaire, remplaçant ou remplaçant remplaçant. Il y a des profils et il ne faut pas se tromper."
Et dans ces profils, il y en a parfois qui étonnent. En 2006, Raymond Domenech avait appelé pour la première fois Pascal Chimbonda, inconnu du grand public. "Il avait été élu meilleur latéral de Premier League cette année-là, les joueurs le connaissaient, mes adjoints l'avaient vu quelques fois, c'était une option, une possibilité, ce n'était pas pour faire le buzz, ou faire parler les uns ou les autres. Dans le profil du remplaçant remplaçant, il était parfait…"
Et quand on a choisi sa liste des 23, il s'agit encore de savoir comment l'annoncer. Faut-il donner une liste élargie de 30 joueurs avec les réservistes, ou clairement les identifier dès le départ (soit 23+7), au risque de démobiliser les uns ou les autres ? En 2010, Raymond Domenech avait été beaucoup critiqué pour avoir donné 30 noms et non 23. "Cette année, avec beaucoup d'incertitudes sur la forme de certains joueurs (Mendy, Sidibé), dire qu'il y a 23 sûrs et que les autres, on ne sait pas, ça pose problème", estime-t-il. "Et quand il y a des incertitudes, on est obligé d'avoir un groupe élargi, d'attendre un petit peu… Franchement, je rêvais de l'époque où on envoyait un texto à l'AFP pour dire : 'voilà, les 22', et basta, le problème était réglé. Maintenant, c'est un show. Je l'avais fait sur TF1, et je crois que ça avait fait 12 millions. C'est un show, mais ça ne change rien à ce que les sélectionneurs ont envie de mettre." Et ça ne changera certainement rien à ce que Didier Deschamps a en tête avant cette Coupe du monde en Russie.