20 ans de "Starship Troopers" en France : le blockbuster incompris de Paul Verhoeven

© Gaumont Buena Vista International
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Guillaume Perrodeau
Dimanche marque les 20 ans de la sortie de "Starship Troopers" en France. Retour sur le long-métrage de Paul Verhoeven, qui a toujours divisé.

À sa sortie en 1997, Starship Troopers doit faire entrer Paul Verhoeven dans une autre dimension, plusieurs années après RoboCop (1987), Total Recall (1990) et Basic Instinct (1992). Non seulement le Néerlandais a les mains libres pour réaliser le long-métrage qu'il souhaite, mais on lui donne également les moyens : 105 millions de dollars de budget. Jamais le réalisateur ne retrouvera un tel financement au cours de sa carrière. Oui mais avec 121 millions de dollars de recettes, Starship Troopers déçoit et rentre tout juste dans ses frais. Mais c'est côté critique que l'oeuvre doit surtout essuyer d'importants revers. Des avis négatifs accentuent un peu plus le désamour entre Verhoeven et les Etats-Unis. Désamour définitivement consommé avec l'échec d'Hollow Man : L'Homme sans ombre (2000).

Un film pour "puceaux accros aux jeux vidéo". La Terre, au 24ème siècle. Une fédération fait régner l'ordre et mène depuis plusieurs années une politique de colonisation d'autres planètes. Problème, à force d'explorer toujours plus de systèmes solaires, les terriens rencontrent des forces extraterrestres, comme les Arachnides. Une guerre se déclenche entre cette espèce et les êtres humains. Dans Starship Troopers, on suit ainsi quatre jeunes personnages, deux hommes et deux femmes qui s'engagent dans l'armée pour mener, eux-aussi, le combat.

Lors de sa sortie en salles - le 7 novembre 1997 aux Etats-Unis et le 21 janvier 1998 en France - le long-métrage divise la critique. Le New York Times fustige le manque de cohérence de Starship Troopers. L'éminent critique du Chicago Sun-Times, Roger Ebert, dénonce quant à lui un film destiné "à des fans de science-fiction de 11 ans". Même en France, Christophe Honoré - à l'époque critique au Cahiers du Cinéma - parle d'un film pour "puceaux accros aux jeux vidéo" dans la revue spécialisée.

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Image tirée du film, qui rappelle l'esthétique du Troisième Reich / ©Gaumont Buena Vista International

"Plus que deux clans, il y a eu deux visions du film. La plupart des critiques, en France et aux Etats-Unis le considèrent comme un film pro-militariste, voire fasciste. Les journalistes américains le prennent d'autant plus mal que c’est un réalisateur néerlandais qui vient marcher sur leur plate-bandes, avec un film aux antipodes des valeurs qu'ils prônent, la plupart étant des démocrates et pas du tout va-t-en-guerre", relate Axel Cadieux, journaliste à So Film et co-auteur de Total Spectacle*, un ouvrage collectif consacré à Paul Verhoeven.

Le cinéaste contestera toujours cette analyse. Pour autant, Paul Verhoeven ne renie pas ses influences et les œuvres qui l'ont inspiré pour ce film. Notamment celles de Leni Riefenstahl, réalisatrice officielle du Troisième Reich. "C'est là qu'est toute l'ambiguïté et tout l'intérêt", estime Axel Cadieux, "il s'agit certes de ses influences, mais il utilise ces codes pour les moquer, les exacerber, et en faire une satire : quelque chose de si excessif que cela en devient ridicule". À titre d'exemple, les acteurs qui jouent les militaires n'ont pas été choisis par hasard. "Des acteurs qui viennent de sitcom ou de séries pour adolescents, avec des allures de Ken et Barbie, afin de tourner en ridicule l'aspect très propagandiste", relève le journaliste de So Film.

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Casper Van Dien (Johnny Rico) et Denise Richards (Carmen Ibanez) / ©Gaumont Buena Vista International

Des critiques saluent d'ailleurs toute la subtilité de Starship Troopers, affirmant en effet que le long-métrage est un brûlot anti-fasciste, anti-militariste et une critique virulente de l'impérialisme américain. "Une part de la critique va comprendre que le film est plus intelligent que ce que l'on peut en tirer de prime abord. Ils vont décoder le film, décrypter, démêler ce qui relève de la satire, du premier degré et du second degré", détaille Axel Cadieux.

"Paul Verhoeven n'a jamais été un cinéaste facile". Mais alors comment expliquer une telle dissemblance d'analyse ? "C'est un film avec deux faces d'une même monnaie qui marche de la même manière. Il y a deux films en un : celui de guerre - le blockbuster - fonctionne mais inversement, la satire marche aussi", avance le journaliste de So Film. Au vu de l'oeuvre entière de Paul Verhoeven, la démarche artistique ne surprend pas. Elle est même cohérente. "Il n'a jamais été un cinéaste facile. C'est un réalisateur qui demande à ce que le spectateur soit un tout petit peu actif. Starship Troopers n'est pas un film qui va se donner à tout le monde, mais ça fait partie du jeu, car Paul Verhoeven est taquin, il aime bien provoquer", indique Axel Cadieux.

En 2006, le cinéaste réalisait ainsi Black Book, l'histoire d'une jeune femme juive résistante, chargée d'infiltrer la Gestapo, qui finit par tomber amoureuse de celui qu'elle espionne. Plus récemment, en 2017, Paul Verhoeven recevait le César du meilleur film pour Elle, dans lequel une femme violée (Isabelle Huppert) entame un étrange jeu de rôle sexuel avec son bourreau. "Tous ses films sont ambigus", souligne Axel Cadieux. "Ça lui permet de ne pas être inoffensif".

*"Paul Verhoeven, Total Spectacle", ouvrage collectif dirigé par Axel Cadieux, aux éditions Playlist Society