Le viol comme arme de guerre. C’est le cœur du sujet du dernier film de la Française Anne Fontaine, Les Innocentes. Invitée d’Anne Sinclair samedi sur Europe1, la cinéaste est revenue sur sa dernière réalisation, dont Europe 1 est partenaire. Un film tourné en langue polonaise et dont le drame se déroule dans la Pologne de 1945, dans l’enceinte d’un couvent où l’armée russe a violé 25 bénédictines de la communauté.
Inspiré du témoignage d’une jeune Française. Les Innocentes est un long-métrage tiré de l’histoire d’une Française, Madeleine Beaulieu. "La jeune médecin française de la Croix-Rouge qui a découvert l’état de ce couvent a laissé un journal intime, et c’est par son neveu, qui habite en France, Philippe Maynial, que l’on a eu connaissance de ces faits", explique Anne Fontaine, qui comptabilise 14 films derrière la caméra, dont Gemma Bovary et Perfect Mothers, parmi les plus récents.
Dans son carnet de bord intime, la jeune docteur rapporte son activité de médecin. Et surtout, elle raconte ce jour fameux où "une bonne sœur vient la voir, affolée, et lui demande de l’aide d’une manière tellement bouleversante qu’elle décide de prendre son ambulance, de traverser la forêt et de rejoindre ce couvent, complètement perdu dans les bois", détaille la réalisatrice.
La "sensualité" et le "mystère" de Lou de Laâge. A l’écran, cette jeune médecin athée porte le nom de Mathilde Pauliac. Campée par Lou de Laâge, que l’on a déjà pu remarquer dans Respire de Mélanie Laurent, elle va assister les religieuses violées dans leur accouchement. Pour Anne Fontaine, le choix de la jeune actrice s’est révélé une évidence : "Lou de Laâge a quelque chose d’incroyable. Un mélange de sensualité, de pureté et de mystère. Elle a vraiment quelque chose de la grâce. J’ai rarement filmé un visage d’actrice aussi gracieux et pour ce sujet c’était vraiment fondamental, justement, d’avoir un mystère en face des sœurs."
Un questionnement autour de la foi et de la maternité. Car, au départ, il s’agit bien de la confrontation, sinon de la rencontre, de deux mondes totalement étrangers : celui de la communauté des Bénédictines, plongée dans la foi, face à celui, rationnel, de cette jeune médecin athée. Face à une mère supérieure qui "incarne un peu la vieille garde" et "veut protéger ses sœurs, mais d’une manière un peu étonnante", Mathilde Pauliac va s’attacher à créer un rapport de confiance, une proximité avec les religieuses.
"Je ne peux pas faire un film, si je ne le sens pas de l’intérieur". Au sein de ce couvent d’une trentaine de sœurs, "comment chacune va interpréter le fait d’être mère malgré la violence de départ ?", interroge Anne Fontaine. Une problématique qui s’est révélée "extraordinaire" à développer, à incarner pour la cinéaste, qui confie : "Je ne peux pas faire un film, si je ne le sens pas de l’intérieur, si je ne me l’approprie pas personnellement. Sinon, je ne sais pas comment diriger ni choisir les acteurs."
Partie en retraite. Pour préparer celui-ci, la réalisatrice, dont certaines tantes sont entrées dans les ordres, a effectué deux retraites au cœur de couvents de Bénédictines. Avec ces religieuses qui l’ont accueillie, elle a même parlé du sujet du film. "Une situation bouleversante humainement", juge Anne Fontaine. Victimes de viols, les "Innocentes" du couvent se trouvent confrontées "à une lutte intérieure entre leur foi, le fait d’avoir donné sa vie à Dieu, et le fait de se retrouver mère", résume-t-elle. En d'autres termes, la question qui sous-tend le film pourrait -être celle-ci : comment ces femmes peuvent-elles encore croire après cela ?
Un film très actuel. Même plus de 60 ans après les faits, "c’est une histoire qui a une actualité très forte", estime Anne Fontaine. "Le viol est une arme de guerre. Le viol de bonne sœur est une double arme de guerre, car vous violez non seulement la femme, mais aussi la religieuse qui est en elle. Dans certains pays d'Afrique ou en Haiti, c’est une situation tout à fait contemporaine".