Baron Noir 1:55
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La troisième saison de la série "Baron Noir", qui sort ce lundi sur Canal+, s'appuie largement sur l'actualité récente pour produire une analyse fine de la situation politico-sociale française. Servie par un casting de haute volée, elle se distingue surtout par sa capacité à humaniser la politique.

Au cinéma comme à la télévision, la politique est bien souvent un ressort dramatique comme un autre. Parce qu'elle parle d'amitié et de trahison, d'amour et de déception, elle est le matériau idéal des scénaristes, qui ont épuisé le filon des perfidies dans les couloirs des ministères et des coups de poignard sous les ors de la République. Si elle ne renonce pas à cela, Baron Noir, la désormais célèbre série de Canal+ qui revient ce lundi pour une troisième saison très attendue, va beaucoup plus loin. 

 

Outre les politicailleries de rigueur, les aventures de Philippe Rickwaert (Kad Merad), ancien maire de Dunkerque rattrapé par les affaires, permettent de produire une fine analyse de la situation politico-sociale française. Et de brosser les portraits singulièrement émouvants des hommes et des femmes qui gravitent dans les sphères de pouvoir.

Rickwaert face à son destin et aux ruines du PS

À la fin de la deuxième saison, on avait laissé un Philippe Rickwaert essoré, condamné par la Justice. Dans le même temps, son ex-camarade socialiste, et ex tout court d'ailleurs, Amélie Dorendeu (Anna Mouglalis), présidente de la République, dynamitait la classe politique et son propre héritage en composant un gouvernement de centre-droit. Face à cette Dorendeu très macroniste, un Michel Vidal aux allures mélanchonistes et l'ombre de Lionel Chalon, leader de l'extrême droite.

Deux ans après, tout le monde est de retour pour cette troisième saison. Ayant purgé sa peine, Philippe Rickwaert se retrouve face à son destin, mais surtout aux ruines du Parti socialiste. Avec la prochaine présidentielle en ligne de mire, il décide de se rapprocher de Debout le peuple, le mouvement de Michel Vidal (autrement dit, de la France insoumise de Mélenchon), pour se relancer.

"Entre la première saison et la troisième, le monde a basculé"

Dans la vraie vie, l'eau a coulé sous les ponts, la rage s'est déversée dans les rues. Baron Noir s'inspire largement de la crise des "gilets jaunes", de la montée des populismes un peu partout, de l'Italie aux Etats-Unis. Mais aussi de la prise d'importance des réseaux sociaux. Le militantisme ne consiste plus à aller arracher les affiches du camp d'en face, quitte à se déchirer les mains sur le verre pilé que les plus aguerris auront mélangé à la colle (technique aussi vicieuse que classique chez les colleurs expérimentés), mais à créer des faux comptes sur Twitter pour façonner l'opinion sur la Toile. 

 

Michel Vidal se filme donc en direct arrivant à l'Assemblée, rappelant Mélenchon sur périscope pendant sa perquisition. Des journalistes arrivent iPhone à la main pour des vidéos verticales, et on pense forcément à Brut. Eric Benzekri, co-créateur de Baron Noir, lui-même ancien conseiller socialiste, a su capter les glissements de l'époque. "Entre la première saison et la troisième, le monde a basculé", explique-t-il à Europe 1. "Aujourd'hui, on a un affrontement, une friction, entre la démocratie représentative telle qu'on la connaît depuis longtemps et la démocratie que j’appelle des réseaux sociaux. C'est-à-dire le surgissement, au même moment, de la libre parole de milliards d'individus dans le monde."

Un nouveau personnage pour incarner les dérives politiques

La bascule est incarnée par ce nouveau personnage qui déboule dans le jeu de quilles d'ordinaire bien alignées des candidats politique. Michel Mercier, un professeur de SVT, YouTubeur à ses heures perdues, qui échappe aux radars des politiques traditionnels jusqu'à faire une entrée fracassante dans leur monde d'ordinaire si fermé. Quelque part entre Coluche et Juan Branco (cet avocat pourfendeur d'Emmanuel Macron, qui peut parler pendant des heures en live sur Facebook de la nécessité de faire la révolution), ce nouveau venu prône la fin des élections et la démocratie par tirage au sort. Car Baron Noir n'aime pas seulement montrer ce qui existe, mais bien pousser le curseur un peu plus loin.

Eric Benzekri assume son parti pris : il a trouvé avec Michel Mercier son "golem", l'incarnation de ce qu'il analyse comme la principale dérive politique récente. Quand d'autres vantent avec le tirage au sort ou le référendum d'initiative citoyenne (le fameux "RIC" des "gilets jaunes") un retour aux racines de la démocratie (le pouvoir par et pour le peuple), le scénariste y voit son annihilation pure et simple. "La remise en cause de ce qui existe n'est pas forcément le mieux à faire", glisse-t-il.

L'amour de la politique et de ceux qui la font

Eric Benzekri aurait-il des petits côtés "ancien monde" ? Il y a, surtout, dans sa série, un amour sincère pour la chose politique. Ce n'est pas lui qui le dit mais Rickwaert, dans l'un de ces dialogues ciselés dont Baron Noir a le secret : "Notre âme, c'est la politique. C'est une façon de transmettre, de faire société. Oui, la politique, c'est l'autre nom de la France."

Aimer la politique, c'est aussi aimer celles et ceux qui la font. Et c'est là, sûrement, que cette troisième saison de Baron Noir donne le meilleur. Les bassesses, les complots, les égo qui ne passent pas les portes : tout est montré, sans pudeur de gazelle. Mais au fond, tous ces personnages ont quelque chose de profondément attachant. La série les dépeint insupportables et vils, certes, mais surtout terriblement humains. 

Les élus devenus le réceptacle des haines individuelles et collectives, qui ploient sous l'ampleur de la tache et le manque de reconnaissance, se muent peu à peu en figures sacrificielles. C'est parce qu'elle s'intéresse autant aux déchirures de la société qu'aux fissures des hommes et des femmes qui la façonnent de leurs décisions que la série Baron Noir atteint des sommets.