Dimanche soir, deux monstres sacrés du cinéma mondial ont été récompensés lors de la cérémonie des Golden Globes. Isabelle Huppert, désignée meilleure actrice pour son rôle sombre et sulfureux dans Elle de Paul Verhoeven et Meryl Streep, lauréate d'un prix spécial pour l'ensemble de sa carrière.
Un "super-pouvoir d'invisibilité". Deux actrices aux parcours aussi long que prestigieux, qui aujourd'hui encore brillent dans des premiers rôles à des âges jugés "canoniques" dans le milieu : la première a 63 ans, la seconde 67. Car ces deux destins exceptionnels confirment une règle tacite qui régit les carrières des comédiennes. Passé 50 ans, les femmes n'ont plus les faveurs des réalisateurs ni des producteurs. Un état de fait résumé avec humour par Marina Tomé, qui a créé fin 2015 une commission au sein de l'association AAFA (Actrices et Acteurs de France Associés) consacrée à la condition des actrices les plus âgées : "A partir de 50 ans, nous développons un super pouvoir, nous devenons invisibles !"
Un phénomène encore plus fort aux États-Unis. Francetvinfo s'est penché sur le phénomène en lançant une étude sur l'activité professionnelle de ces femmes jugées trop vieilles pour camper des personnages de jeunes femmes et trop jeunes pour jouer les grands-mères. Les résultats sont édifiants. D'après eux, les femmes commencent à décrocher moins de rôles dès leurs 45 ans, tandis que les hommes, eux, voient leur carrière décliner à 60 ans. Conclusion lapidaire de Marina Tomé : "Le vieillissement est toujours plus pénalisant pour les femmes que pour les hommes". Voire même associé à "une forme de monstruosité", renchérit Gwenaelle Le Gras, enseignante à l'université de cinéma de Bordeaux. Les actrices françaises âgées de 45 à 50 ans peuvent néanmoins s'estimer mieux loties que leurs consœurs américaines : elles représentent 11% du contingent des interprètes, contre 4% seulement outre-Atlantique.
Pour une Catherine Deneuve, combien de recalées ? C'est justement pour faire changer ces mentalités qu'une quarantaine de personnes a rejoint la commission de l'AAFA dédiée à la condition des femmes actrices de 50 ans. Mais il faudra de longues années pour parvenir à faire bouger les lignes, tant cette conception de la femme semble ancrée dans les esprits des professionnels du cinéma. Si certaines stars au charisme et au talent salué parviennent à échapper aux catégorisations et aux clichés - Catherine Deneuve dans Elle s'en va et Fanny Ardant dans Les Beaux Jours en sont deux exemples - l'immense majorité souffre de ces carcans esthétiques et moraux, y compris des actrices reconnues. Maggie Gyllenhall a par exemple joué dans plus de 30 films, sous la direction de stars comme Spike Jonze. Cela ne l'a pas empêché d'être jugée trop vieille pour le rôle de l'amante d'un acteur de 55 ans. C'était en 2015, elle avait 39 ans.