La maison d'édition Gallimard a annoncé jeudi qu'elle suspendait son projet de publier les pamphlets antisémites de Louis-Ferdinand Céline. "Au nom de ma liberté d'éditeur et de ma sensibilité à mon époque, je suspends ce projet, jugeant que les conditions méthodologiques et mémorielles ne sont pas réunies pour l'envisager sereinement", a indiqué Antoine Gallimard dans un texte adressé à l'AFP.
Polémique. Le projet de rééditer les pamphlets antisémites (Bagatelles pour un massacre, L'École des cadavres et Les beaux draps) de Céline avait suscité une levée de boucliers, notamment de la part de Serge Klarsfeld, président de l'association Fils et filles de déportés juifs de France. Ces textes constituent "une insupportable incitation à la haine antisémite et raciste", avait estimé de son côté le Conseil représentatif des institutions juives (Crif). Le président du Crif, Francis Kalifat avait appelé les éditions Gallimard "à renoncer au projet de réédition de ces brûlots antisémites".
"Je partage l'émotion des lecteurs". Gallimard souhaitait publier "une édition critique" des pamphlets "sans complaisance aucune". "Les pamphlets de Céline appartiennent à l'histoire de l'antisémitisme français le plus infâme. Mais les condamner à la censure fait obstacle à la pleine mise en lumière de leurs racines et de leur portée idéologiques, et crée de la curiosité malsaine, là où ne doit s'exercer que notre faculté de jugement", a estimé l'éditeur. Mais, a-t-il ajouté, "je comprends et partage l'émotion des lecteurs que la perspective de cette édition choque, blesse ou inquiète pour des raisons humaines et éthiques évidentes".
Non à l'"autocensure". Alors que la polémique prenait autour de la réédition de ces pamphlets antisémites, l'éditeur s'était défendu : "Le livre pour l'instant n'existe pas, alors pourquoi cette polémique ? Elle ne devrait exister que quand j'annonce : 'voilà, il sortira et voilà l'édition'". Antoine Gallimard avait dénoncé "un procès d'intention" : "On n'a pas à pousser les éditeurs à s'autocensurer."
Serge Klarsfeld "soulagé".
Serge Klarsfeld s'est dit jeudi "soulagé" après la décision d'Antoine Gallimard. "Je suis soulagé. C'était une bataille difficile à gagner car elle ne se passait pas devant des magistrats mais devant la société", a déclaré le défenseur de la mémoire des déportés juifs de France. Alors que les actes antisémites se maintiennent à un haut niveau, la France traverse "une période où verser de l'huile sur l'antisémitisme qui brûle n'est pas opportun", a estimé Serge Klarsfeld. "Ce que je recommande, c'est d'acheter le livre de Pierre-André Taguieff et Annick Duraffour Céline, la race, le Juif : ses mille pages sont le véritable appareil critique des écrits antisémites de Céline", a en outre recommandé l'historien.