Patrice Leconte : "Jean Rochefort a failli faire que je ne devienne jamais cinéaste"

Patrice Leconte et Jean Rochefort avec Johnny Hallyday au festival du film de Venise en 2002.
Patrice Leconte et Jean Rochefort avec Johnny Hallyday au festival du film de Venise en 2002. © Gabriel BOUYS / AFP
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Guilhem Dedoyard
Lorsque Patrice Leconte signe, à 26 ans, son premier long-métrage Les vécés étaient fermés de l'intérieur, l'attitude de Jean Rochefort à son égard le traumatise au point de lui faire songer à quitter le cinéma, comme il l'explique à Isabelle Morizet dans "Il n'y a pas qu'une vie dans la vie" sur Europe 1.

"Patrice, tu ne m'adresse plus jamais la parole, je suis anéanti d'avoir signé un film avec toi". C'est ce que dit Jean Rochefort à Patrice Leconte, 26 ans, alors qu'il dirigeit l'acteur dans son premier long-métrage Les vécés étaient fermés de l'intérieur, en 1976. De quoi démotiver le jeune réalisateur. "Ça donne pas des ailes. J'ai été plongé dans un truc très bizarre, celui du rêve interrompu, depuis que j'étais enfant, j'avais un rêve incroyable qui scintillait comme ce n'est pas permis, faire un long métrage. Vous accédez à ce rêve et vous vous rendez compte qu'il est en train de s'effondrer", se souvient-il aujourd'hui au micro d'Isabelle Morizet. 

Coluche qui tenait le rôle principal, lui a alors apporté un peu de soutien. "Coluche avait décidé d'être sympa avec tout le monde, il ne choisissait pas son camp, il me soutenait un peu mais il ne me montait pas contre Jean Rochefort". Au-delà du film c'est son avenir en tant que réalisateur que Patrice Leconte remet à l'époque en cause. "C'est curieux de se dire que ce métier que j'aime tellement faire, à cette époque en 1974, j'allais au tournage comme un chat qu'on fouette. Je me disais : 'vivement vendredi soir que je puisse me requinquer et vivement la fin de ce tournage'. Ce qui est terrible c'est que j'ai continué à faire ce film en me disant en permanence 'je me suis trompé de rêve'. Jean Rochefort a failli faire que je ne devienne jamais cinéaste".

"Il m'a pris pour un jeune blanc bec et un incapable"

"Pourquoi ? Je sais un petit peu pourquoi. Je n'avais pas d'attitude odieuse, je ne me prenais pas pour Dieu le père, je faisais mon film, mais il m'a pris pour un jeune blanc bec et un incapable", analyse-t-il. "J'ai dû commettre des tas d'erreurs de premier film, il y a des gens qui sont bienveillants, tolérants, qui vous pardonnent vos balbutiements, je ne balbutiais pas mais j'ai fait des erreurs et lui il n'a rien laissé passer", regrette le cinéaste.

Des raisons plus personnelles expliquent son attitude selon lui. "À ce moment-là de sa vie, je crois que ça n'allait pas très fort, il n'était pas totalement épanoui dans sa vie privée, cela ne me regarde pas, mais c'est comme ça. Et puis il s'est rendu compte, je crois que Coluche, allait tirer son épingle du jeu, que c'était lui l'Auguste et que lui, Jean Rochefort, était une espèce de clown blanc, comme une espèce de faire-valoir. Il y avait un porte-à-faux, un déséquilibre. Est-ce qu'il s'est retrouvé le cul entre deux chaises et qu'il me l'a fait payer ? je ne sais pas trop".

"La cicatrice n'a jamais été totalement refermée"

Cela n'a pas empêché le réalisateur de lui confier le rôle principal de Tandem, onze ans plus tard : "Je ne suis pas maso du tout, je ne me suis pas dit : 'je vais me refaire un tour avec Jean Rochefort'. J'aimais beaucoup cet acteur malgré ce qu'il m'avait fait subir, parce que je le voyais dans les films des autres et qu'il était formidable, mais on ne s'était jamais revu et jamais reparlé". Néanmoins Patrice Leconte admet qu'il avait surement quelque chose à prouver à l'acteur : "Je pense que secrètement j'avais envie de lui prouver qu'il s'était trompé sur mon compte et que je n'étais pas le jeune branleur incapable qu'il s'imaginait. Je voulais lui dire que j'étais un type bien. Fierté quand tu nous tient".

Pour les sept films qui verront ensuite les deux hommes collaborer, les choses s’amélioreront même si,"la page n'a jamais été détachée et la cicatrice n'a jamais été totalement refermée", estime Patrice Leconte. "On était devenus très amis, on se faisait confiance, mais la cicatrice a toujours été là."