Douze ans. C’est le temps qu’il a fallu à Hollywood pour produire à nouveau un film avec une super-héroïne comme personnage principal. Après les échecs de Catwoman et Elektra, c’est à Wonder Woman, incarnée à l’écran par Gal Gadot et déjà aperçue dans le récent Batman V Superman, que revient la lourde charge de prouver que le genre super-héroïque n’appartient pas qu’aux hommes. Pour l'occasion, l’Amazone est propulsée en pleine Première guerre mondiale, où elle va découvrir l'étendue de ses pouvoirs. Avant la sortie française mercredi, les retours des critiques américains semblent indiquer que le pari est (enfin) réussi.
Deux "navets" dans les années 2000. Depuis le début de la "bulle" des films de super-héros en 2000 (entamée avec le premier X-Men), seules deux figures féminines du genre ont eu droit à une aventure en solo. Le moins que l'on puisse, c'est que ce ne fut pas brillant. Il y eut d’abord Catwoman (2004), avec Halle Berry dans le rôle-titre et réalisé par le Français Pitof. Démoli par les critiques à sa sortie pour sa réalisation et son jeu d’acteurs risibles, le film ne parvint même pas à rembourser son budget de 100 millions de dollars.
Un an plus tard sortait Elektra, spin-off sur la petite amie de Daredevil apparue dans le long-métrage sur le héros aveugle sorti en 2003. Là encore, la critique s’en donne à cœur joie et étrille un film dans lequel tout sonne faux, des effets spéciaux grotesques au script bien trop sérieux, en passant par la performance désincarnée de Jennifer Garner. L’actrice a elle-même confié à l’époque qu’elle avait trouvé le film "affreux" mais que son contrat pour Daredevil l’obligeait à le tourner.
Des personnages féminins forts mais peu mis en valeur. Deux échecs retentissants qui ont sûrement dissuadé les dirigeants de Marvel et de DC, les deux grands éditeurs de comics, de consacrer un film de leurs univers cinématographiques respectifs à des héroïnes. Certes, plusieurs personnages féminins ont volé la vedette à leurs homologues masculins, à l’image de Jean Grey (Famke Janssen) dans la première trilogie X-Men et Mystique (Jennifer Lawrence) dans la seconde. Mais à chaque fois, elles ont été reléguées au second plan ou cantonnées à un rôle romantique.
Avec cinq apparitions dans l’univers Marvel, la Veuve Noire (Scarlett Johansson) a également réussi à imposer un personnage bad-ass, aussi dangereuse avec ses poings que les héros en armure ou en costume. Longtemps, les fans ont même cru qu’elle aurait droit à son propre spin-off, d’autant que son passé trouble d’espionne du KGB donnerait matière à un scénario intéressant. Finalement, le film ne devrait jamais voir le jour. Surtout, la Veuve Noire a longtemps été la seule femme de la bande des Avengers, rejointe sur le tard par Scarlet Witch dans Avengers : L’Ere d’Ultron (2015).
Wonder Woman relève le défi. Forcément, quand Wonder Woman a été annoncé dans le planning de DC Comics en 2014, les espoirs étaient immenses. D’autant plus que les aventures de Diana, princesse des Amazones, sont dirigées par une femme, Patty Jenkins, réalisatrice de l’acclamé Monster avec Charlize Theron (une première pour un film de super-héros). Mais ça, c’était avant les déceptions Batman V Superman et Suicide Squad. Le doute s’est installé : Wonder Woman sera-t-il à la hauteur de l’enjeu ?
A en croire la presse américaine, la réponse est un grand oui. Les critiques ne tarissent pas d’éloges sur le nouveau film DC Comics. "Wonder Woman est le meilleur film DC depuis The Dark Knight", "divertissant, inspirant, drôle et rempli de scènes d’action à couper le souffle", "Gal Gadot est fantastique, son alchimie avec Chris Pine, magnétique. Je le recommande fortement", peut-on lire sur les sites spécialisés américains. Résultat, Wonder Woman récolte 93% d’avis positifs sur Rotten Tomatoes, site américain agrégateur de critique.
Déjà un succès au box-office. Porté par cette vague, le film de Patty Jenkins a récolté 103,2 millions de dollars au box-office américain pour son premier week-end. C’est moins que les précédents films du DC Cinematic Universe : 116,6 millions pour Man of Steel, 166 millions pour Batman V Superman : L'Aube de la Justice et 133,6 millions pour Suicide Squad. Mais cela représente tout de même le troisième meilleur démarrage de l’année aux États-Unis. Surtout, Wonder Woman réalise le meilleur premier week-end pour un film réalisé par une femme, battant ainsi le record de Cinquante Nuances de Grey (2015).
Encore du chemin à faire. En cas de succès international, Wonder Woman pourrait être la première pierre vers un genre de cinéma populaire plus représentatif de la société. Pendant longtemps, les films de super-héros ont mis en vedette des hommes blancs : Tony Stark, Thor, Bruce Wayne, Clark Kent… Une sur-représentation de plus en plus critiquée après chaque film et qui a notamment conduit Marvel à diversifier ses personnages, en intégrant ou en donnant plus de visibilité à des héros de couleur (Nick Fury, Black Panther, War Machine sont incarnés par des acteurs noirs).
Les femmes sont toujours en retrait mais, sous la pression des fans et des actrices, la donne commence à changer. Les Gardiens de la Galaxie, Vol.2 a intégré deux nouveaux personnages féminins à son scénario et pour la première fois dans l’univers Marvel, le méchant de Thor : Ragnarok (sortie en octobre) sera une méchante (Cate Blanchett). Reste que la place des femmes dans les films du genre évolue encore (trop) lentement. Le succès critique de Wonder Woman ne doit pas faire oublier que l’Amazone sera la seule femme parmi les sept héros de Justice League (sortie en novembre). Quant au prochain film dédié entièrement à une super-héroïne, il mettra en scène Captain Marvel. Réalisé en duo par Anna Boden et Ryan Fleck, avec l’actrice oscarisée Brie Larson dans le costume de l’héroïne, il ne sortira qu’en 2019.
Séries, l’exemple à suivre
Ce n’est plus un secret, la télévision est devenue précurseure en matière de questions sociétales. Les films de super-héros peuvent ainsi s’inspirer des séries du genre. Depuis 2013, Agents of S.H.I.E.L.D. met en scène les aventures d’une équipe chargée d’enquêter sur les phénomènes liés aux super-héros, avec trois femmes au premier plan dont Skye, véritable héroïne du show qui découvre ses pouvoirs petit à petit.
Toujours dans le giron Marvel, la série Agent Carter (2015) était entièrement dédiée à l’espionne Peggy Carter, confrontée à ses collègues machistes au sortir de la Seconde guerre mondiale. Faute d’audiences, la série a été arrêtée après deux saisons. Sur Netflix, Jessica Jones a pris le parti d’une anti-héroïne alcoolique et violente qui fait face à ses démons du passé. Une belle réussite qui a conduit au renouvellement du show (crée par une femme, Melissa Rosenberg). En face, dans le camp DC Comics, c’est Supergirl, la cousine de Superman qui a eu droit à sa série TV, lancée en 2015 aux États-Unis. L’héroïne aura bientôt droit à une troisième saison.