Le feuilleton de la vente de deux navires Mistral à la Russie pourrait connaître un nouveau rebondissement. Après avoir pendant des mois évoqué un report de leur livraison - en raison de l’ingérence russe en Ukraine - , François Hollande a, pour la première fois, évoqué mardi une possible annulation pure et simple de la vente. "Selon les différentes hypothèses, vous aurez paiement ou remboursement", a déclaré le président de la République. Une hypothèse qui aurait bien sûr un coût.
Une grosse commande et un sérieux contretemps. Depuis son retour à la présidence en 2012, Vladimir Poutine s’est fixé pour objectif de remettre à niveau l’armée russe, tant pour le symbole qu’en raison du vieillissement de son équipement. Un réarmement entamé en fait dès 2011, avec la signature d’un contrat avec la France pour la livraison de deux navires de classe Mistral. Un type de bateau dont la Russie ne dispose pas, à savoir un navire d'assaut amphibie polyvalent permettant à la fois de déployer des forces aériennes (hélicoptères) et terrestres (troupes, chars, VBMR, etc.). Le contrat est signé en juin 2011 et estimé à 1,2 milliards d’euros.
Sauf que cette vente ne va pas se passer comme prévu : en raison de l’ingérence russe dans la crise ukrainienne, la France décide en septembre 2014 de suspendre la livraison des deux navires, quasiment achevés. Depuis, la Russie demande à la France de respecter sa part du contrat, un dialogue resté policé jusqu’à présent. Mais dimanche, Vladimir Poutine a explicitement commencé à faire une croix sur ce contrat : "je pars du principe que les autorités françaises, les Français, étant des gens corrects, ils nous rendront l'argent", a-t-il souligné, expliquant qu'il n'avait pour autant pas "l'intention d'exiger des pénalités excessives". Ce qui était tabou, une annulation du contrat, devient donc probable, d’autant que François Hollande a lui aussi évoqué un possible "remboursement".
Annuler le contrat : entre 940 millions et 1 milliard. Si la France ne livre pas les deux navires, elle devra rembourser aux Russes les sommes déjà versés, à savoir entre 700 et 800 millions d’euros, selon les informations d’Europe 1. Mais ce n’est pas tout : un tel contrat prévoit justement le scénario d’une annulation. Il faudrait donc verser des frais de pénalité qui représentent en général 20% du contrat : soit entre 240 et 251 millions d’euros selon les sources.
Reste à savoir si la facture s’arrêtait là, ce qui est impossible à vérifier en raison de la confidentialité d’un tel contrat. Si, comme Vladimir Poutine l’a déclaré, la Russie ne réclamait pas de "pénalités excessives", le montant à rembourser varierait entre 940 millions et 1,051 milliard.
Une facture avec de nombreuses inconnues. Sauf que les Russes ont aussi à plusieurs reprises évoqué de "sérieuses réclamations" et "la compensation de tous les préjudices". En clair, se faire rembourser tous les frais générés par l’achat des deux navires : l’aménagement de ses ports pour accueillir les deux navires, la mise aux normes de l’équipement censé être embarqué à bord, voire même le surcoût que la Russie pourrait payer pour trouver rapidement un bateau similaire ailleurs. Reste à savoir si ces coûts sont déjà prévus dans les frais de pénalités du contrat.
Mais la France a également des arguments à faire valoir pour réduire la facture en cas de bataille juridique et comptable. En effet, elle aussi a engagé des frais dont elle pourrait demander le remboursement à la Russie : la formation des militaires russes (environ 30 millions d’euros dixit Le Monde), la formation des ouvriers des chantiers navals de Saint-Pétersbourg (coût inconnu) et les transferts de technologie déjà effectués (estimés entre 90 et 220 millions d’euros). Paris pourrait donc théoriquement réduire la facture de 120 à 250 millions d’euros.
Au final, dans l’hypothèse la plus optimiste, Paris pourrait ne devoir verser que 690 millions d’euros à la Russie. Dans la version la plus pessimiste, la facture pourrait dépasser les 930 millions, le montant final pouvant être fixé par une instance d'arbitrage en cas de désaccord persistant. Dans les deux cas, la France se retrouverait avec deux bateaux qu’elle pourrait revendre pour rentrer dans ses frais, à un détail près : tout le système informatique installé à bord est russe et n’est pas compatible avec une autre armée, il faudrait donc le démonter et le remplacer. Sans oublier que l’image de l’industrie française de l’armement serait un peu écornée auprès de ses clients.
Reporter la livraison a aussi un coût. Reste à évoquer l’autre hypothèse, un report de la livraison. Là encore, on ignore le détail du contrat, mais le principe est simple : plus les bateaux sont livrés avec du retard, plus les indemnités sont élevées. Un chiffre a été évoqué par la presse et il n’est pas anodin : 1 milliard d’euros.
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