"Ayons la même rage pour défendre la France que Johnny" : même Bruno Le Maire est fan de Johnny Hallyday. Mercredi, alors que la France pleurait la disparition du rocker, le ministre de l’Économie s’adressait au gratin des patrons français, européens et mondiaux, réunis au Conseil économique, social et environnemental (Cese), à Paris, pour évaluer l’attractivité de la France dans le monde. Contrairement aux idées reçues, notre pays attire bel et bien les investisseurs étrangers. Un phénomène qui s’est accru ces derniers mois.
Un écosystème propice aux investissements
On a tendance à l’oublier mais la France est depuis longtemps une terre d’accueil pour les entreprises du monde entier. "C’est Otis qui a construit les premiers ascenseurs de la Tour Eiffel en 1884", n’a pas manqué de rappeler Judy Marks, patronne du leader mondial du secteur. Aujourd’hui, les entreprises étrangères installées en France, que ce soit des sièges ou des filiales, représentent deux millions d’emplois sur le territoire et pèsent pour 29% du PIB et un tiers des exportations.
Que viennent chercher les multinationales en France ? "Un haut niveau d’éducation, un environnement digital dynamique, une forte productivité", résume Judy Marks. D’après une étude de Business France, les Français se classent 7e mondiaux en termes de productivité, devant l’Allemagne (8e) et le Royaume-Uni (17e). "Vous ne vous en rendez pas compte mais en très peu de temps, la France est passée de ‘pire pays d’Europe où investir’ pour les entreprises américaines à ‘meilleur pays’", martelait déjà lors d’une conférence à Bercy fin novembre, John Chambers, président du conseil d’administration du géant américain de l’informatique Cisco.
Macron est arrivé…
Résultat, selon un sondage Ipsos, 60% des responsables d’entreprises étrangères implantées dans l’Hexagone estiment que la France est "attractive", contre seulement 36% il y a un an. Et la quasi-totalité des 40% de sceptiques pensent que la France peut retrouver son attractivité "dans les cinq ans à venir". "Il y a un an, la France était l’homme malade de l’Europe. Désormais, elle en est le pays le plus attractif", assure Bruno Le Maire. Qu’a-t-il bien pu se passer en un an pour donner lieu à un tel renversement ? A écouter les patrons qui se sont succédé sur l’estrade du Cese mercredi, la réponse tient en un nom : Emmanuel Macron.
"L’image de la France n’a pas toujours été positive dans le milieu des affaires", rappelle Sean Gallagher, directeur général de Xerox France (fabricant d’imprimantes). "Quand j’ai pris mon poste en mars, on m’a dit : ‘Tu verras, la France est un pays compliqué, contraignant et cher’. Mais depuis l’élection de Macron, il y a beaucoup d’espoirs." Même son de cloche chez Karien Van Gennip, patronne d’ING Bank France : "Avec Macron, le positif a pris le pas sur le célèbre pessimisme français. Il a libéré des énergies. La France est désormais une priorité pour ING".
" La France est "open for business", c’est nouveau "
De belles paroles qui se sont concrétisées ces derniers mois. Quasiment coup sur coup, Amazon, Facebook, Fujitsu, General Electric, Cisco et d’autres encore ont présenté des projets d’investissement ou d’implantation en France. Et il faut croire qu’Emmanuel Macron n’y est pas pour rien : 95% des responsables de multinationales implantées en France interrogés par Ipsos considèrent que la politique du gouvernement, notamment la réforme du code du travail, va dans le bon sens.
La France profite du Brexit et de Trump. Toutefois, l’élection de Macron n’explique pas à elle seule la nouvelle image de la France à l’international. Avant lui, le Brexit puis l’élection de Donald Trump ont créé de l’incertitude au Royaume-Uni et aux États-Unis, libérant de la place pour la France. "C’est difficile d’attirer des talents à Londres depuis un an", reconnaît Sean Gallagher. "Les diplomates français ont pris la place des Britanniques et des Américains. La France est ‘open for business’, c’est nouveau. Le monde regarde la France comme un endroit où on peut faire des affaires", ajoute Melissa Bell, correspondante de la chaîne CNN à Paris. Cerise sur le gâteau pour les acteurs économiques tricolores, l’instabilité politique allemande, avec une Angela Merkel possiblement en fin de parcours, profite aussi à la France.
Relativiser l’"effet Macron"
Sept mois après l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, l’optimisme est donc de rigueur chez les chefs d’entreprise étrangers. Mais l’espoir suscite des attentes qu’il faudra combler. "Il faut que les réformes créent de l’emploi, c’est une question de confiance entre les employeurs et les employés. Cela veut aussi dire régler tout de suite la question du chômage massif des jeunes", souligne Karien Van Gennip, d’ING Bank. Autre point sensible : le déficit. Si la France venait à contrevenir à nouveau à la règle des 3% qu’elle a elle-même réclamée, ce serait un mauvais signal envoyé à nos partenaires européens.
" Les patrons attendent des mesures concrètes "
Une vision raccourcie. "Il y a eu beaucoup d'emballement après l'élection de Macron. Notre rôle en tant que correspondants, c’est de tempérer cette ardeur, car à l’étranger, on a une vision un peu raccourcie de la politique de Macron", explique Léo Klimm, correspondant du quotidien allemand Süddeutsche Zeitung à Paris. Les Italiens ont déjà eu droit à leur alerte quand le président français a soudainement décidé de nationaliser les chantiers navals de Saint-Nazaire avant de les céder à Fincantieri. "On s’est demandé si l'idéal européen de Macron n’était pas mort-née", se souvient Paolo Levi, correspondant à Paris du quotidien La Stampa.
Par ailleurs, Macron suscite un enthousiasme certain mais encore peu palpable. "Pour l’instant, ça ne suffit pas. Les maisons-mères continuent d’avoir un a priori défavorable", tempère Christophe Catoir, patron en France d’Adecco, groupe spécialisé dans l’intérim et le recrutement. "La perception qu’elles ont de Macron ne suffit pas, il faut des mesures concrètes. La vraie réforme importante sera celle de l’apprentissage et de la formation professionnelle."
Un paradis pour les entreprises, vraiment ?
D’autant que si la France profite actuellement d’un regain d’attractivité, elle traîne encore de nombreux boulets qui peuvent fragiliser son nouveau statut. Il y a les reproches habituels, comme le carcan administratif, trop lourd pour les entreprises, ou le retard accumulé dans le domaine du numérique. Et puis il y a ceux que l’on met moins en avant, comme la difficulté à attirer et garder les talents.
Selon un rapport de l’Institut européen d'administration des affaires publié mercredi, la France, sixième puissance économique mondiale, n’est que 24ème en termes de compétitivité dans la course aux talents (sur 118 pays évalués). Notre pays se classe 7ème au niveau de la formation, preuve que l’on sait former les jeunes. Mais c’est quand il s’agit de les garder ou de les faire venir de l’étranger que cela se complique : la France est seulement 103ème sur les relations entreprises-gouvernements et 104ème sur la facilité à recruter.
" La fiscalité française est encore la deuxième plus élevée d'Europe "
Tout cela cumulé fait que la France a encore du chemin à faire pour être le paradis des entreprises étrangères. "Contrairement à ce que dit Bruno Le Maire, la France n’est pas le pays le plus attractif d’Europe, tout comme elle n’en a pas été ‘l’homme malade’ l’an dernier : n’oublions pas la Grèce, l’Espagne, l’Italie…", nuance Henri Sterdyniak, économiste à l’OFCE. "Le coût du travail est encore trop élevé pour les patrons et le ‘renouveau’ de la France ne les empêchera pas d’aller délocaliser en Roumanie pour des questions de moindre coût. De même, la fiscalité française est encore la deuxième plus élevée de l’UE. Pierre Gattaz, le patron du Medef, voulait 120 milliards d’euros de réduction d’impôts, il n’en a obtenu ‘que’ 40 milliards car Macron ne peut trop raboter la fiscalité locale", explique le fondateur des Économistes Atterrés.
Patrons volontaristes. Reste que les patrons étrangers sont volontaristes et veulent profiter de la dynamique française. "L’élection de Macron crée de la confiance dans les milieux d’affaires. C’est à nous de tirer le maximum de ce climat positif", insiste Judy Marks, patronne d’Otis. Au-delà même des investissements économiques, la France bénéficie d’une nouvelle aura auprès de ses partenaires. Au point de placer en elle les espoirs les plus fous, comme le glisse, en rigolant, Paolo Levi, du quotidien La Stampa : "En Italie, on en est presque à espérer que la France gagne la Coupe du Monde pour nous".