Le site de réservation hôtelière Booking a eu droit à une place de choix dans les médias cette semaine, et ce n’est pas pour des encarts publicitaires : l’entreprise est soupçonnée de pratiques fiscales qui pourraient s’apparenter à de la fraude. Ce n’est pas la première à devoir s’expliquer : en moins d’un mois, pas moins de trois entreprises ont été pointées du doigt pour leur amour de l’optimisation fiscale en France et ailleurs.
Booking : une ardoise potentielle de 356 millions d’euros. Le siège du site de réservation d'hôtels est situé aux Pays-Bas, où la taxe sur les sociétés est bien moindre. Il facture donc ses prestations à ses clients français depuis l’étranger pour réduire sa facture fiscale, un procédé jugé abusif par les services fiscaux français : à leurs yeux, Booking a une activité réelle dans l’Hexagone et y dispose d’un établissement stable. Le site doit donc payer des impôts en France sur ses revenus français. Après avoir mené un audit portant sur les activités de Booking en France sur une période comprise entre 2003 et 2012, le fisc a notifié un redressement de 356 millions d’euros en décembre 2015. Et il n’est pas le seul puisque l’Italie s’apprête à faire de même. L’entreprise, qui a officialisé l’enquête en cours le 1er juin, a prévu de contester cette sanction devant la justice.
Google : 1,6 milliard d’euros en jeu. Si le géant du Web a une importante activité commerciale dans l’Hexagone, le chiffre d’affaires déclaré est, lui, bien moindre. Car bien que Google dispose de bureaux en France, ces derniers ne travaillent officiellement que pour le siège situé en Irlande. Et c’est sur cette île que sont encaissés les revenus publicitaires français. Ce montage a intrigué l’administration fiscale, qui, après avoir enquêté sur le sujet, est arrivée à une toute autre conclusion : si les clients français reçoivent bien leur facture d’Irlande, leur interlocuteur est, lui, installé en France. Et lorsqu’un souci apparaît, ce sont les équipes françaises qui le règlent.
En clair, le fisc soupçonne Google de bel et bien avoir une activité en France mais de la dissimuler par un jeu d’écriture comptable interne à l’entreprise. Dans le cadre de cette enquête pour fraude fiscale aggravée et blanchiment en bande organisée de fraude fiscale aggravée, la justice a mené le 24 mai une perquisition préparée dans le plus grand secret. Par crainte d’être espionnés, les enquêteurs ont ainsi été contraints de travailler sur des ordinateurs non connectés à internet. Google risque un redressement de 1,6 milliard d’euros.
Mc Donald’s : 300 millions d’euros réclamés. Le géant du fast-food est lui aussi soupçonné d’avoir mis en place un système de transfert interne au groupe dans le seul but d’éviter l’impôt. Dans le détail, chaque restaurant doit s’acquitter d’une redevance pour utiliser le nom et les fournisseurs de la multinationale. Sauf que cette redevance est étrangement très élevée et pourrait surtout servir à réduire artificiellement les bénéfices réalisés en France, et donc les impôts. D’autant que ces fameuses redevances partent vers les principaux paradis fiscaux européens : la Suisse puis le Luxembourg. Certains chiffres ont de quoi intriguer : entre 2009 et 2013, l’entreprise américaine aurait fait remonter plus de 3,7 milliards d'euros de ses restaurants européens vers sa holding luxembourgeoise McD Europe Franchising, qui s'est acquittée de seulement 16 millions d'euros d'impôts. Soit un taux d’imposition proche de 0,5%.
Le 18 mai, une perquisition a été menée à son siège français pour faire la lumière sur cette possible dissimulation de revenus. L’administration fiscale réclame 300 millions d’euros. De son côté, Mc Donald’s ne s’exprime pas sur le sujet, si ce n’est pour rappeler qu’il est "l'un des principaux contribuables français en matière d'impôt sur les sociétés".
Ikea, Starbucks, Apple, etc. : l’Europe se réveille aussi. Régulièrement pointée du doigt pour son niveau d’imposition, la France n’est pourtant pas la seule concernée : la plupart des Etats européens perdent des milliards d’euros à cause de l’optimisation fiscale. Les institutions se sont tardivement saisies de la question et ont commencé à sévir : en octobre 2015, la Commission a jugé illégal le montage fiscal dont bénéficiaient Fiat et Starbucks aux Pays-Bas et a sommé les deux entreprises de verser les sommes ainsi économisées. Les pratiques fiscales d’Amazon au Luxembourg et d’Apple en Irlande font aussi l’objet d’une enquête. Le parlement européen a également rendu en février 2016 un rapport sur Ikea, dont le montage aurait privé la France de 24 millions d’euros et l’Allemagne de 35 millions d’euros pour la seule année 2014.
Mais la tâche à accomplir est immense. Comme l’ont montré les révélations permises par le Luxleaks, près de 340 entreprises bénéficieraient des douceurs fiscales offertes par le seul Luxembourg. Si on y ajoute les Pays-Bas, l’Irlande, la Belgique ou le Royaume-Uni (et ses dépendances), le manque à gagner se chiffre en milliards d’euros.