Manque de concertation, contestation généralisée, réécriture de dernière minute, etc. : le projet de loi El Khomri est devenu un véritable feuilleton et de nouveaux épisodes sont d’ores et déjà prévus lors de son examen début avril par les parlementaires. Mais en attendant de nouveaux rebondissements, la ministre du Travail a présenté jeudi en Conseil des ministres son texte censé permettre "un nouvel élan pour la démocratie sociale dans notre pays". Voici ce que contient cette dernière version.
DE NOUVELLES LIBERTÉS POUR LES ENTREPRISES
Le projet de loi El Khomri veut simplifier la vie des entreprises et pourrait encore évoluer pour prendre en compte les spécificités des TPE et des PME. Mais il prévoit déjà de nombreuses modifications.
• Le licenciement économique facilité. La loi clarifie ce qu’est un licenciement économique : l’entreprise doit connaitre quatre trimestres consécutifs de baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, deux trimestres consécutifs de pertes d'exploitation, une importante dégradation de la trésorerie, ou encore une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité. Les difficultés d'un groupe seront évaluées sur ses seules filiales françaises, mais le juge devra vérifier que l'entreprise ne les organise pas "artificiellement" pour licencier. Le cas échéant, la rupture sera requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
• L’encadrement des indemnités aux prud’hommes. La loi prévoyait de plafonner le montant des indemnités à verser au salarié en cas de licenciement injustifié, mais le gouvernement a fait marche arrière : le barème ne sera pas obligatoire mais indicatif.
• Un régime dérogatoire en cas de difficultés. Les accords d'entreprise conclus pour "préserver ou développer l'emploi" s'imposeront aux contrats de travail, sans pouvoir "diminuer la rémunération du salarié". S'il refuse, un salarié pourra être licencié pour motif "sui generis" et pas pour un motif économique.
• Le temps de travail flexibilisé. Si l’employeur ne pourra plus imposer son organisation du temps de travail (forfait-jour, pause, astreinte), il va néanmoins bénéficier de nouvelles possibilités. Ainsi, la possibilité de passer à une moyenne hebdomadaire de travail de 46 heures (au lieu de 44) sur 12 semaines, qui nécessite actuellement un accord de branche et un décret, est assouplie : un accord d'entreprise suffira. Sur décision unilatérale de l'entreprise de moins de 50 salariés, le temps de travail pourra être modulé pendant 9 semaines. En outre, l’annualisation du temps de travail pourra se faire sur trois années, contre une seule aujourd’hui.
• Les heures supp’ pourront être moins payées. Les heures supplémentaires continueront à être majorées au minimum de 10%. Mais les entreprises qui proposaient davantage pourront revoir ce taux à la baisse.
DE NOUVEAUX DROITS POUR LES SALARIES
Suite à la fronde des syndicats contre une première version taillée sur mesure pour les employeurs, le gouvernement a décidé de renforcer les mesures en faveur des salariés.
• Le Compte personnel d'activité. Le texte instaure notamment le compte personnel d'activité (CPA), un outil qui va coiffer à partir de 2017 trois nouveaux droits : le compte personnel de formation (CPF), le compte pénibilité (C3P) et un nouveau "compte engagement citoyen" qui permettra d'acquérir des heures de formation récompensant le bénévolat ou le volontariat. Le CPA sera ouvert aux indépendants et non-salariés, ainsi qu'aux fonctionnaires.
• La garantie jeunes pérennisée. Autre nouveauté de taille, la garantie jeunes va être étendue à un plus grand nombre de bénéficiaires. Son principe : offrir un accompagnement personnalisé et financier aux jeunes précaires n’ayant ni d’emploi ni de formation afin d’éviter qu’ils décrochent définitivement du marché du travail.
• Concilier vie professionnelle et outils numériques. En outre, un "droit à la déconnexion" devra être négocié dans les entreprises à partir de 2018 pour éviter que la vie professionnelle ne déborde trop sur la vie privée par le biais du numérique.
DU CHANGEMENT POUR LES SYNDICATS AUSSI
Le projet de loi El Khomri prévoit également quelques changements dans la vie syndicale. Les heures accordées aux délégués syndicaux seront augmentées de 20% pour améliorer le dialogue social. En outre, dans les entreprises sans représentation syndicale, les employeurs pourront aussi négocier avec des salariés mandatés par un syndicat sur tout sujet pouvant faire l'objet d'un accord.
Un accord d'entreprise devra être "majoritaire" c'est-à-dire signé par des syndicats représentant plus de 50% des salariés aux élections professionnelles. Faute de majorité, les syndicats minoritaires (plus de 30%) pourront demander un référendum d'entreprise pour valider l'accord.
Les règles vont également changer pour les organisations patronales afin qu’elles soient plus représentatives : la mesure de l'audience patronale sera pondérée pour tenir compte du nombre d'entreprises adhérentes à hauteur de 20% et du nombre de salariés à hauteur de 80%.
ET QUELQUES MESURES DIVERSES ET VARIÉES
Si la loi El Khomri est censée être axée sur les nouvelles libertés offertes aux entreprises, elle agglomère des réformes pour le moins disparates. Ainsi, le texte doit faire évoluer la médecine du travail : la visite médicale ne sera plus systématique à l'embauche, sauf pour les postes à risque. Le suivi médical sera personnalisé selon les conditions de travail, l'état de santé et l'âge du travailleur, ainsi que les risques professionnels auxquels il est exposé. Une réforme qui concerne également les intérimaires et les contrats courts.
Le projet de loi El Khomri affirme également la "liberté du salarié de manifester ses convictions, y compris religieuses". Deux restrictions sont possibles : l’entrave à la liberté d'autrui et au bon fonctionnement de l'entreprise. Cette nouvelle feuille de route est issue de la jurisprudence mais ne figurera pas pour autant dans le Code du travail.