"La CFDT est plus en phase avec le dialogue social de notre époque"

La CFDT devance désormais la CGT et FO.
La CFDT devance désormais la CGT et FO. © JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP
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Clément Lesaffre
La CFDT a détrôné la CGT au rang de premier syndicat du privé en France. Une victoire dans les chiffres que la centrale devra transformer en résultats concrets, selon l’historien Stéphane Sirot.
INTERVIEW

"C’est historique !" C'est peu dire que Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, était ravi vendredi du résultat de la représentativité syndicale. Pour la première fois, la CFDT est devenue le premier syndicat de France dans le privé, ravissant le leadership à la CGT de Philippe Martinez. Selon Stéphane Sirot, professeur d’histoire politique et sociale du XXe siècle à l’Université de Cergy-Pontoise et spécialiste du syndicalisme, ce renversement est l’aboutissement d’une nouvelle dynamique du syndicalisme français. Pour Europe1.fr, il analyse ce "séisme" qui secoue le monde des syndicats.

En quoi la première place de la CFDT est-elle historique ?

Pour la première fois depuis sa fondation en 1895, la CGT n’est plus la première organisation syndicale de France. Les chiffres de la représentativité syndicale rendus publics cette année actent en réalité la fin d’un modèle. Pendant des décennies, le syndicalisme français s’est construit sur le modèle contestataire de la CGT.

Mais à partir des années 1980, on note un changement. Le dialogue social s’est tourné vers la négociation collective. La CGT a eu du mal à s’intégrer à cette relative pacification sociale. Cette difficulté est devenue progressivement structurelle. Dans le même temps, la CFDT a incarné cette nouvelle tendance du syndicalisme français. Le résultat d’aujourd’hui est le prolongement naturel de cette évolution. La CFDT est simplement plus en phase avec le processus historique.

Il faut également dire que la CGT paye maintenant sa volonté de changer les critères de représentativité. Depuis la loi de 2008, les résultats des élections professionnelles constituent le principal critère de la représentativité syndicale. Cette année, la CFDT a gagné du terrain dans les entreprises de plus de 11 salariés, ce qui lui permet de prendre la tête. Et la CGT a chuté, notamment car les "petits" syndicats ont gagné des voix. Son projet de renforcer sa place de premier syndicat s'est retournée contre elle.

Est-ce un camouflet pour la CGT ?

Avant tout, il faut relativiser ces résultats. Les chiffres, c’est une chose. Mais la force d’un syndicat tient aussi beaucoup à sa capacité de mobilisation. Or, la CGT peut encore gêner l’activité économique du pays, on l’a vu lors des blocages de raffineries durant les manifestations contre la loi Travail. Elle dispose, qui plus est, d’une base de sympathisants sensibles à son discours mais qui ne votent pas lors des élections. Comme en politique, l’abstention aux élections professionnelles doit être prise en compte.

Par ailleurs, la CGT a remporté les élections dans les TPE. Elle reste également très forte dans ses bastions historiques et dans le secteur public. C’est ce qui fait dire à Philippe Martinez qu’en additionnant public et privé, la CGT reste le premier syndicat de France. Mais cela ne doit pas occulter le fait qu’elle n’accroche pas dans les grandes entreprises privées. Et, en tant que confédération, la CGT ne peut se contenter d’un repli sur quelques bastions, dont certains sont, en plus, en train de s’effondrer.

Comment la CFDT va assumer son rôle de premier syndicat de France ?

C’est la vraie question. La CFDT est une centrale qui a prospéré grâce au dialogue social pacifié. Désormais, elle devra montrer son efficacité avec son nouveau statut. La capacité à signer des accords est essentielle pour un syndicat. La CFDT devra assurer l’équilibre des accords qu’elle signe, prouver que la négociation donnant-donnant qu’elle promeut peut être bénéfique dans la durée.

En parallèle, l’élection présidentielle va jouer un rôle dans le comportement de la CFDT lors des futures négociations. Si le paritarisme est mis à mal, que la démocratie référendaire d’entreprise prend le pas sur la négociation collective, comme le veulent Emmanuel Macron et François Fillon, cela pourrait entraver l’action syndicale de manière générale, et particulièrement celle de la CFDT. C’est pour cette raison que Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, était dubitatif après les auditions des différents candidats. La CFDT n’adhère réellement à aucun programme, alors qu’en 2012, elle s’était officieusement prononcée en faveur de François Hollande.

La CFTC et la CFE-CGC présentent des résultats intéressants. Que pouvez-vous en dire ?

La CFTC, Confédération française des travailleurs chrétiens, est arrivée cinquième avec 9,49% des voix, sauvant de peu sa représentativité (en dessous de 8%, un syndicat n’est pas considéré comme représentatif, ndlr). Elle a du mal à faire valoir son identité propre car elle est souvent dans le sillage de la CFDT. Ce n’est pas évident pour la CFTC de se faire une place. Il faut qu’elle se singularise, ce qu’elle est parvenue à faire sur le travail du dimanche.

Quant à la CFE-CGC (Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres), elle confirme sa place d’arbitre entre le bloc "réformiste" (CFDT, CFTC, Unsa) et le bloc "contestataire" (CGT, FO) qui cumulent tous deux 40% des voix. Avec plus de 10%, la CFE-CGC aura un rôle essentiel car elle peut donner la majorité nécessaire à la signature de certains accords collectifs à l’un des deux blocs. Et son positionnement est assez balancé. Il faut rappeler que sur la loi El Khomri, elle n’avait pas soutenu le pôle réformiste. Qui plus est, l’évolution du monde du travail lui est favorable avec de plus en plus de cadres et d’employés qualifiés. C’est certes un syndicalisme sectoriel, la CFE-CGC n’est pas présente partout, mais elle dispose d’un socle solide.