Le dénouement du feuilleton de la succession de Thierry Lepaon à la tête de la CGT approche. Philippe Martinez, numéro un de la Fédération des métaux, devrait être intronisé mardi par le Parlement de la CGT, le Comité confédéral national (CNN). Jeudi dernier, la Commission exécutive (direction élargie) avait déjà donné son aval à sa nomination.
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Le principal défi qui attend le futur numéro un de la CGT est monstre. Car le déclin du syndicat est entamé depuis longtemps, et cela se ressent au sein des urnes salariales : - 9% de voix en six ans chez EDF, -4% en cinq ans à la SNCF, - 7% en dix ans à la Poste. En cause, notamment : la difficulté à marcher droit. Tiraillée entre sa base et la direction, entre les "modernistes", partisans de plus de souplesse dans les négociations patronales, et les radicaux, plus enclins aux conflits sociaux, la confédération peine à se trouver une ligne.
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La désignation du secrétaire général en est d'ailleurs la preuve la plus frappante. La nomination de Thierry Lepaon, en novembre 2012, était intervenue après neuf mois de négociations intenses, lors desquelles au moins trois autres noms ont été proposés avant le sien. Et depuis sa démission il y a un mois, la CGT peine à parler d'une seule voix. Le 13 janvier dernier, la candidature de Philippe Martinez a été refusée par le CNN, l'obligeant à proposer une nouvelle équipe dirigeante.
>> Autant de tensions qui s'expliquent, en grande partie, par un bouleversement entamé depuis longtemps : la séparation de la CGT avec le Parti communiste. Faut-il en conclure que le syndicat doit revenir en arrière ?
Quand le PCF était la boussole de la CGT. La CGT et le parti communiste se sont longtemps aimés. Après la guerre, en effet, la majorité des instances dirigeantes étaient proches voire membres du PCF. Cette proximité entraîne même une scission en novembre 1947 : la minorité "non-communiste" quitte le syndicat et crée CGT-Force Ouvrière, plus connu aujourd'hui sous l'abréviation FO. Alors certes, la CGT n'a jamais officiellement été communiste. Mais longtemps, le parti a été un mari intrusif. "Entre 1947 et les années 90, le PCF contrôlait tous les rouages. Lorsqu'il y avait une crise, le secrétaire général de la CGT allait au bureau du parti pour la régler. Le positionnement, le choix des dirigeants… Ce type de questions n'était même pas posé, puisque tout se décidait à l'extérieur", décrypte pour Europe1 Bernard Vivier, directeur de l'Institut supérieur du travail.
La rupture crée un grand vide. La CGT ne prendra ses distances avec le PCF qu'à la fin des années 90, sentant bien que le communisme perdait en influence. C'est Louis Viannet, patron du syndicat de 1992 à 1999, qui fut le grand artisan du divorce : en démissionnant des instances dirigeantes du PCF, en refusant de donner des consignes de vote ou en modifiant les statuts pour enlever la notion de "syndicats de lutte des classes" par exemple. Mais à mesure que la CGT prenait ses distances, elle perdait aussi en ossature.
"La succession de Louis Viannet, en 1999, n'a certes pas posé de problème : après les mouvements de 1995, Bernard Thibault ressortait comme la figure nouvelle de la CGT. Mais on voit aujourd'hui à quel point la succession de Bernard Thibault est compliquée. Car longtemps, le facteur d'homogénéité était le communisme. Lorsque le facteur porteur s'effondre, le tout s'effondre. Ca commence à se voir aujourd'hui. La CGT n'a pas l'habitude de résoudre ses problèmes d'organisation seule", décrypte pour Europe 1 Jean-Marie Pernot, chercheur à l'Institut de recherches économiques et sociales (Ires).
"Bernard Thibaut a essayé de conjuguer contestation et négociation. Mais des bastions se sont créés, des bastions communistes, professionnels etc. Depuis qu'il est parti, ça tangue de tous les côtés. Çà a même commencé à la fin de son mandat. Et aujourd'hui, tout ressort", renchérit Bernard Vivier.
Y a-t-il encore des communistes à la CGT ? Aujourd'hui, la CGT compte encore beaucoup d'encartés PCF, notamment chez les dirigeants. Philippe Martinez lui-même serait membre du parti, selon une source syndicale citée par l'AFP. "On sent un mouvement de retour aux valeurs de lutte des classes. Les anciens se manifestent. Le PCF ne veut pas lâcher la CGT, même s'il n'a pas les moyens. Revenir à la lutte des classes, cela rassurerait beaucoup de militants. Ca redonnerait à la CGT un positionnement", décrypte Bernard Vivier, de l'institut supérieur du travail (IST). "Pour autant, la CGT ne veut pas sombrer avec le PCF, et se retrouver avec 1% des voix", nuance le spécialiste du monde syndical.
Car si le communisme est toujours présent chez quelques dirigeants ou militants influents, la majorité de la CGT s'est éloignée du parti il y a longtemps. En 2007, selon l'IST, les sympathisants de la CGT n'étaient plus que 7 % à opter pour Marie-Georges Buffet (PCF), contre 42 % pour Ségolène Royal (PS). En 1993, ils étaient encore pourtant 51% à voter PCF aux législatives.
"Aujourd'hui, il y a encore des communistes encartés à la CGT. La culture communiste imprègne encore beaucoup les dirigeants. Mais beaucoup critiquent aussi et se demandent 'qu'est-ce qu'on a fait pendant 30 ans'. Ce serait une erreur de reprendre le communisme comme une référence. Son image n'est pas très bénéfique. Au contraire, la CGT a même plutôt du mérite d'avoir résisté à l'effacement du PCF", analyse Jean-Marie Pernot.
Un rapprochement serait une "impasse". Selon Bernard Vivier, se rapprocher de nouveau du PCF "serait donc une impasse". "Sur le long terme, sans ouverture à la négociation, la CGT va s'affaisser sur elle-même. La sociologie du salariat en France est moins portée sur la contestation que sur la revendication", résume le spécialiste.
D'autant que la CGT a ses valeurs propres. Larges, mais propres. "La culture du rapport de force, de l'exigence dans la signature des accords etc. font parties de ces valeurs. Cela n'empêche pas la CGT de s'appuyer sur des valeurs comme la solidarité. Il se trouve que le communisme a la même, mais les catholiques aussi !", résume Jean-Marie Pernot. Qui conclut : "sa ligne directrice n'est plus le communisme, mais celle d'un syndicalisme rassemblé. Or, elle n'a jamais été aussi isolée. Ils savent ce qu'ils doivent faire : mieux se déployer, aller sur le terrain, près des travailleurs. Mais ils n'arrivent pas à le faire, car la bureaucratie bloque tout".