Environnement et économie ne font pas toujours bon ménage mais un outil financier pourrait bien les réconcilier : les obligations vertes ou "Green bonds" en anglais. Et la France aimerait bien en devenir la championne mondiale, comme l’a martelé la ministre de l’Ecologie : "la France confirme son rôle moteur dans la continuité des ambitions de l'accord de Paris sur le Climat de décembre dernier, en devenant le premier Etat au monde à émettre un emprunt d'Etat vert", s'est félicitée vendredi Ségolène Royal. L’Hexagone va donc émettre des obligations vertes début 2017 et cela mérite quelques explications.
Qu’est-ce qu’une obligation verte ? Un "Green bond" est avant tout une obligation, c’est-à-dire un titre de dette émis par une entreprise, un Etat ou une collectivité territoriale pour emprunter de l'argent. Les investisseurs qui achètent ces obligations prêtent donc de l’argent à l’emprunteur, qui s’engage à le rembourser à une date et un taux d’intérêt prédéfinis. Mais à la différence d’un crédit classique, une obligation est bien plus pratique et flexible puisque l’investisseur qui l'a achetée peut ensuite la revendre à un autre investisseur, qui peut lui aussi faire de même, etc.
Mais en quoi une obligation peut-elle être verte ? Ce qualificatif fait évidemment référence à l’écologie : une obligation est considérée comme verte lorsque l’argent collecté sert à financer un projet participant à la protection de l’environnement ou à la transition énergétique. EDF a par exemple déjà émis deux obligations vertes pour financer la construction de champs d’éoliennes, de centrales photovoltaïques ou encore d’unités de méthanisation. Les "Green bonds" sont donc censés être la solution idéale pour les investisseurs qui souhaitent faire fructifier leurs économies tout en préservant la nature. C’est en quelque sorte l’équivalent écolo des fonds dits éthiques, qui s’interdisent d’investir dans les secteurs de l’armement, de l’alcool ou encore des jeux d’argent.
Pourquoi la France se lance-t-elle sur le créneau ? En tant que pays hôte de la COP21, la France doit montrer l’exemple et espère entraîner d’autres Etats dans son sillage pour que la finance puisse être au service de l’environnement. Mais l’enjeu n’est pas que symbolique, il est aussi et plus prosaïquement stratégique : le marché des "Green bonds" est certes balbutiant mais très prometteur. Alors que l’ensemble des obligations vertes émises en 2011 ne pesaient que 1,8 milliard de dollars, ce volume est passé à 36,4 milliards en 2014, selon les données du Crédit Agricole. Cette niche est donc en plein essor et, surtout, la marge de manœuvre est immense : les obligations vertes ne représentent même pas 0,1% du marché obligataire mondial, qui pèse environ 100.000 milliards de dollars.
C’est donc tout un secteur financier prometteur qui est en train d’émerger - avec ses spécialistes, ses intermédiaires, ses assureurs, etc. -, et la France compte bien en devenir un acteur majeur. Le ministre des Finances Michel Sapin a d’ailleurs déclaré lundi qu’il souhaitait "faire de Paris l'une des places financières de référence dans le soutien à la transition énergétique". Même l’ONG WWF France s’est félicitée de ce "signe de plus du leadership de la France en matière de finance verte". L’objectif est donc clair : se positionner très tôt sur le secteur des "Green bonds" pour en devenir la référence, tout comme Londres est par exemple devenu le spécialiste du marché des changes.
La France est-elle vraiment pionnière ? Ségolène Royal s’est félicitée que la France soit "le premier Etat au monde à émettre un emprunt d'Etat vert". Ce qui est factuellement vrai : jusqu’à présent, aucun Etat au sens strict du terme n’a émis des obligations souveraines vertes. En revanche, la Chine l’a déjà fait de manière indirecte par le biais de trois banques qu’elle contrôle indirectement et c’est d’ailleurs dans l’Empire du Milieu qu’ont été émises le plus d’obligations vertes : fin mai, un tiers des Green bonds émis depuis le début de l’année l’avaient été par des établissements chinois, selon un décompte du Financial Times.
La France n’est donc pas seule sur ce créneau et va devoir batailler pour se faire une place. Mais elle dispose peut-être d’un atout : être capable d’instaurer un label transparent et reconnu de tous, là où les autorités chinoises inspirent encore de la méfiance aux marchés. La France l’a compris en lançant un label national dès le début d’année, baptisé Transition énergétique et écologique pour le climat (TEEC), et souhaite définir un standard reconnu à l’international.
Au fait, ces "Green bonds" préservent-ils vraiment la nature ? C’est l’une des faiblesses des obligations vertes et peut-être une opportunité pour la France : ce n’est pas parce qu’une obligation est verte que l’argent collecté va vraiment servir à faire des affaires tout en protégeant l’environnement. Et pour cause : l’obligation de préserver l’environnement n’est pas contraignant. En clair, il n’existe aucune sanction pour ceux qui ne respectent pas cette règle. Et même les "Green Bond Principles", une ébauche de norme élaborée par les investisseurs, sont volontaires.
Le risque de dérapage est grand mais "à ce jour, le marché a bien géré ce risque", assurait le responsable de la branche banque durable du Crédit Agricole, dans une note publiée fin 2015. Tout le monde ne partage pas cet enthousiasme, à l’image de Maxime Combes, économiste et membre d’Attac. Dans un article publié sur Mediapart, ce dernier imagine les dérives possibles en prenant l’exemple d’Engie, ex-GDF Suez. "Engie pourrait utiliser ce financement pour les grands barrages qu'elle construit en Amazonie et qui n'ont vraiment rien d'écolo. Déforestation, non-respect des droits humains, désastres environnementaux en aval et en amont (inondations, assèchement de rivières, etc.), les conséquences de ces grands barrages sont dramatiques pour les populations et les écosystèmes locaux. Le vert, à la moulinette de la finance, pourrait donc prendre d'autres teintes", écrivait-il en avril 2016. L’avenir des "Green bonds" passe donc par la mise en place de standards exigeants, reste à savoir à quel niveau la France mettra la barre.