L’Etat peut-il contrer la flambée des prix des péages ?

© VALERY HACHE / AFP
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Le tarif des péages devrait, comme tous les ans, augmenter au 1er février 2019. Une mauvaise nouvelle pour les automobilistes mais aussi pour le gouvernement, qui avance son impuissance en la matière.
ON DÉCRYPTE

Il n’y a pas que sur les ronds-points que les "gilets jaunes" se rassemblent. Depuis le début du mouvement mi- novembre, les péages sont aussi des lieux privilégiés de la contestation. Avec à la clé des opérations "péages gratuits", et nombre de dégradations, comme dans la nuit de lundi à mardi à Bandol, dans le Var, où une barrière a été incendiée. Ce n’est bien entendu pas un hasard si les sociétés d’autoroute sont ainsi visées. Depuis plusieurs années, la flambée des prix, mise en place par les sociétés d’autoroute bénéficiant d’une concession de l’Etat, nourrit la grogne des usagers. Et ce n’est pas fini. Car une nouvelle hausse est prévue au 1er février prochain.

Comment est calculée la hausse des tarifs ?

C’est une tradition dont se passeraient probablement beaucoup d’usagers des autoroutes : chaque 1er février, le prix des péages est revu à la hausse. Et ce sur la base d’une formule comprise dans les contrats passés entre l’Etat et les sociétés d’autoroute. "Pour schématiser, sont pris en compte entre 70 et 85% du taux d’inflation, les travaux d’investissement, et la hausse de la redevance domaniale, que versent chaque année les sociétés concessionnaires à l’Etat", explique à Europe 1 Pierre Chasseray, délégué génal de l’association de 40 millions de consommateurs.

"Le problème, c’est que les sociétés prennent en compte dans leurs travaux d’investissement des choses qui au final leur rapportent. C’est le cas de la généralisation du télépéage, pour lequel les usagers finissent par payer deux fois", peste Pierre de Chasseray. "Et au final, on se retrouve avec 1,5 à 2 fois l’inflation". Exemple précis : au 1er février 2019, les tarifs des péages devraient augmenter de 1,9% en moyenne, alors que l’inflation, en 2018, devrait être de 1,2%.

Pourquoi la hausse du 1er février devrait être particulièrement sensible

Une hausse de 1,9%, ce n’est pas rien. A titre de comparaison, les tarifs avaient augmenté de 1,55% au 1er février 2018. Pour expliquer l’ampleur de l’augmentation, il faut ajouter à la hausse mécanique deux facteurs. D’abord, les conséquences du gel de la hausse des tarifs qui avait été décidé par Ségolène Royal, alors ministre de l’Environnement, en 2015. Cette décision avait été attaquée par les sociétés d’autoroute devant le Conseil d’Etat, qui avait donné raison aux plaignantes. Résultat, des compensations sont prévues entre 2019 et 2023, qui aboutissent à une hausse de 0,25% des tarifs en moyenne pour 2019.

L’autre raison, ce sont les 700 millions d’euros d’investissement décidés par le gouvernement de François Hollande à la fin de son quinquennat, en 2016. L’Etat avait autorisé les sociétés d’autoroute à répercuter ce coût sur les usagers, sur plusieurs années, pour une hausse de 0,2% en moyenne en 2019.

Pourquoi l’Etat semble impuissant

Pour l’heure, le gouvernement actuel semble se contenter de prendre acte. "Il y a tous les ans, par les contrats qui lient l'État aux sociétés d'autoroutes, des mécanismes de calcul et de réévaluation des tarifs, qui seront évidemment mis en oeuvre comme tous les ans", a juste répondu lundi François de Rugy, le ministre de la Transition écologique, interrogé sur Europe 1.

Une manière de prendre acte qui ne plaît pas à Pierre Chasseray, mais qui s’explique. "L’Etat profite beaucoup des contrats que les lie avec les sociétés concessionnaires, notamment à travers la redevance domaniale", explique le numéro 1 de 40 millions d’automobilistes. "Il ne faut pas croire que dans cette affaire, l’Etat est le grand perdant. Les grands perdants, ce sont les usagers", insiste-t-il, avant de prévenir : "Cette hausse ne passera pas. D’autant qu’avec le report de la taxe carbone, elle sera considéré comme la première hausse de la fiscalité de l’année", explique-t-il. "Au moment où on est sur un timide retour au calme du mouvement des gilets jaunes, ils auraient tort de le rejaunir à nouveau."

" Bien sûr que l’Etat peut faire quelque chose "

Mais l’Etat peut-il seulement faire quelque chose ? Pour l’heure, le gouvernement a décidé de reporter la réunion du Comité des usagers, qui devait acter cette hausse des tarifs, pour éviter de mettre de l'huile sur le feu après les annonces d'Emmanuel Macron sur le pouvoir d'achat. Et s’il s’aventurait à geler unilatéralement les prix des péages, les sociétés concessionnaires - qui disposent pour les plus importantes de contrat courant jusqu’en 2032 ou 2036 - seraient fondées à saisir le Conseil d’Etat. Et elles auraient probablement gain de cause, comme après la décision de Ségolène Royal en 2015.

Mais cet argument ne tient pas, selon Pierre Chasseray. "Bien sûr que l’Etat peut faire quelque chose", s’agace le délégué général de 40 millions d’automobilistes. "Quand on a des mauvais contrats - et tout le monde est d’accord pour dire que ce sont des mauvais contrats - on peut les dénoncer auprès du Conseil d’Etat au nom de l’intérêt général. Il ne s’agit pas de re-nationaliser, l’Etat n’en a de toute façon pas les moyens, mais de renégocier", réclamer Pierre Chasseray.

Le gouvernement semble donc avoir au moins un levier à activer, une menace à brandir, auprès des sociétés d’autoroutes. Ces dernières seront justement reçues mardi soir au ministère des Transports par Elisabeth Borne. Même si officiellement, la réunion ne portera que sur l'état des perturbations en cours, à quelques jours d'un week-end de grands départs, et sur les  dégradations, il serait étonnant que la question des prix pour les usagers ne soit pas évoquée.

 

Vinci renonce à vouloir faire payer les automobilistes qui avaient profité des opérations péages gratuits

Lundi, la société Vinci avait fait grincer nombre de dents, y compris parmi les membres du gouvernement, en annonçant qu’elle réclamerait une régularisation aux automobilistes qui ont profité des mobilisations des "gilets jaunes" pour passer gratuitement à travers ses péages. Une réclamation jugée "incongrue" par Benjamin Griveaux, le porte-parole du gouvernement. Le groupe a finalement annoncé mardi en fin d’après-midi qu’il renonçait à sa demande. "Cette procédure, sans doute insuffisamment expliquée donc mal comprise, a suscité d’un grand nombre de rédactions négatives. Vinci Autoroutes a décidé de renoncer à son application et en appelle au civisme de chacun dans ces circonstances exceptionnelles", écrit-il dans un communiqué.