Changement de locomotive pour le rail. Le gouvernement a dévoilé lundi les grandes lignes de son projet de réforme pour les chemins de fer français. Fin progressive du statut de cheminot, refonte du modèle économique de la SNCF, amélioration des services… L’exécutif réserve un traitement de choc au secteur, administré par voie d’ordonnances. Entre les lignes, l’objectif est de préparer l’ouverture à la concurrence qui doit intervenir très vite. Un sérieux bouleversement pour les usagers.
- L’ouverture, c’est pour quand ?
Pour demain… ou presque. La législation européenne oblige la France à ouvrir son réseau de chemin de fer à la concurrence au plus tard en décembre 2019 pour le TER et décembre 2020 pour le TGV (avec application en 2021). La réforme du rail engagée par le gouvernement doit donc permettre de "relever le défi de la concurrence". "Partout où elle a eu lieu, elle a permis une hausse de la fréquentation et de la qualité des services. Il va falloir l’organiser, notamment pour définir les conditions de transfert des salariés. Il s'agit de donner de la visibilité à tous sur les nouvelles règles du jeu", a précisé lundi Édouard Philippe.
- Comment ça s’est passé à l’étranger ?
Au Royaume-Uni, l’ouverture à la concurrence est passée par la privatisation de British Rail, équivalent local de la SNCF, en 1993 (ce n’est pas le scénario arrêté par Édouard Philippe qui veut conserver un groupe public). Les activités du groupe ont été éclatées et désormais, une vingtaine de compagnies privées se partagent les chemins de fer britanniques. Mais pour les usagers, le compte n’y est pas : selon des études du parti travailliste et d’un syndicat ferroviaire, le prix des billets a augmenté de 27% entre 2010 et 2017. Les Anglais consacrent 14% de leur budget au pass de transport mensuel, contre 2% en France. Les entreprises justifient les tarifs élevés par le besoin d’investir massivement dans des infrastructures vétustes.
Depuis 1994, le rail est également libéralisé en Allemagne. La Deutsche Bahn, entreprise ferroviaire publique a été concurrencée par plusieurs compagnies mais aujourd’hui, elle est toujours en situation de quasi-monopole sur les lignes grande vitesse (LGV). Un a un, les concurrents (dont le Français Transdev) ont jeté l’éponge. En cause : le coût d’entrée trop élevé sur le marché, entre redevances à verser à la filiale de Deutsche Bahn qui entretient les voies (sorte de SNCF Réseau) et achats de train pour assurer les liaisons. En revanche, le marché est plus ouvert sur le réseau régional.
Enfin, il y a l’Italie, premier pays européen à avoir ouvert son réseau à la concurrence. Trenitalia, opérateur historique et filiale d’une entreprise publique, cohabite avec deux autres opérateurs : Italo et Thello. La libéralisation a entraîné une baisse globale du prix des billets de 40% entre 2011 et 2017.
- A quoi faut-il s’attendre en France ?
Étant donné que l’État veut conserver la SNCF ainsi que son statut d’entreprise publique, il y a de fortes chances pour que l’ouverture à la concurrence en France se rapproche du modèle allemand. Sur les LGV, la SNCF bénéficie de son ancienneté : elle peut opérer des lignes non rentables grâce à celles qui sont profitables. Or, de nouveaux entrants ne pourraient reprendre ces lignes déficitaires dans l’immédiat.
"On peut penser que Thello, contrôlée par la compagnie italienne Trenitalia, qui opère aujourd’hui des trains classiques entre la France et l’Italie, pourrait être bien placée. La Deutsche Bahn, qui s’est déjà montrée intéressée pour emprunter le tunnel sous la Manche, pourrait aussi être attirée par certaines lignes, notamment du nord de la France", avance Arnaud Aymé, directeur associé de Sia Partners, spécialiste des transports, à La Croix. En réalité, l’ouverture à la concurrence serait surtout visible sur les lignes régionales…
- Comment les régions se préparent-elles ?
Certaines collectivités n’ont pas attendu le coup d’envoi du gouvernement pour se lancer dans l’ouverture à la concurrence. Ainsi, plusieurs lignes sont déjà opérées par des compagnies privées, soit au titre d’exception, soit dans le cadre d’une expérimentation. C’est par exemple le cas de la ligne Carhaix-Paimpol, en Bretagne, gérée par la CFTA, entreprise dans laquelle Veolia possède des parts. "C’est une voie qui fonctionne bien mais il faudrait qu’on mette moins de temps en train qu’en voiture et le niveau de fréquentation est très inégal. Donc ce n’est pas forcément un modèle en soi", a expliqué Richard Ferrand, chef de file des députés LREM et conseiller régional de Bretagne, sur Europe 1.
Mais c’est surtout la région PACA qui est en pointe dans ce domaine. Depuis le 1er février, pour quelques euros de plus sur leur forfait mensuel, les usagers du TER peuvent également utiliser les liaisons assurées par la compagnie italienne Thello en France (entre Milan et Marseille, la ligne dessert notamment Vintimille, Menton, Monaco, Nice, Cannes, Toulon…). De plus, la région vient de lancer un appel d’offres "à blanc" pour sonder les éventuels opérateurs intéressés par le réseau TER. Selon Philippe Tabarot, vice-président LR de la région PACA, en charge des transports, interrogé par France Bleu, "quatre ou cinq candidats se sont manifestés, dont des Italiens et des Allemands".
Au total, cinq régions (PACA, Pays-de-la-Loire, Hauts-de-France, Grand-Est et Bourgogne-Franche-Comté) ont déjà adopté le principe d’ouverture à la concurrence de leur réseau régional, sachant que ni la Corse ni l’Île-de-France ne sont concernées. A ce stade, c’est le Grand-Est qui est le plus avancé puisque la région affirme vouloir être prête dès 2021 pour ouvrir à la concurrence 10% de son réseau ferré. Sur l’ensemble du territoire, Transdev apparaît comme l’opérateur le plus crédible pour opérer des lignes.
- Quel impact sur les prix ?
C’est la grande inconnue tant les conséquences sur les tarifs des billets dépendront des modalités de mise en concurrence, pas encore fixées. En Italie, la libéralisation a fait baisser les prix mais pas au Royaume-Uni. En France, tout est envisageable. Interrogé par Le Parisien, Thierry Mallet, PDG de Transdev, estime que "l’usager bénéficiera d'un meilleur service, c'est certain", mais ne promet pas de baisse des prix. "Je préfère parler de baisse des coûts. Il faut savoir que le coût du kilomètre parcouru est de dix euros en Allemagne contre vingt euros en France. Cette baisse profitera à tous et notamment aux régions et donc aux contribuables".
Sur le réseau régional, les analystes estiment en majorité que la libéralisation n’amènera pas de baisse des prix sensible, car le rail français est très subventionné. En passant du public au privé, les subventions disparaissent et rien ne dit que les régions pourront compenser. En revanche, elles pourront réclamer aux opérateurs privés de meilleurs services en contrepartie. Quant au TGV, la balance peut pencher d’un côté comme de l’autre : la faible rentabilité de certaines lignes peut se répercuter sur les billets tout comme un modèle low-cost (plus de sièges, pas de wagon-bar, pas de wi-fi…) peut voir le jour.