Les agriculteurs sont inquiets. Mercredi, ils étaient plusieurs milliers - environ 20.000 selon les organisations syndicales à l'origine du mouvement - à avoir manifesté dans toute la France. Ils redoutent la modification de la carte des "zones défavorisées", la sortie programmée et progressive du glyphosate, le plan loup mais aussi la mise en place d'un accord de libre-échange entre l'Union européenne et les pays du "Mercosur" (Brésil, Argentine, Paraguay et Uruguay). Ce sujet épineux a été abordé jeudi : Emmanuel Macron a reçu 1.000 agriculteurs à l'Elysée, à deux jours de l'ouverture du salon de l'agriculture. Mais que contient cet accord et pourquoi est-il redouté par les éleveurs ? Europe 1 fait le point.
- Que prévoit le projet d'accord ?
Des négociations sur ce projet d'accord, né dans les années 1990, ont repris mercredi à Asuncion au Paraguay. Il s'agit d'un projet d'accord de libre échange, qui prévoit de faciliter l'exportation de produits en provenance du Mercosur vers l'Union européenne, grâce à une réduction des droits de douanes. Aujourd'hui ces pays d'Amérique du sud exportent déjà plusieurs centaines de milliers de tonne de viande de bœuf en Europe mais payent des droits de douane.
Fin 2017, Bruxelles s'était dit favorable à une importation chaque année en Europe de 70.000 tonnes de viande bovine sud-américaine et 100.000 tonnes de sucre, le tout sans droits de douane. Mais selon les informations du Monde, l'Union Européenne serait même prête à autoriser des quotas de viandes de bœufs plus élevés, comme le réclame les Etats membre du Mercosur. Ainsi, 100.000 tonnes de viande bovine exceptés de droits de douane pourraient arriver sur le marché européen, d'après le quotidien du soir.
En échange, la Commission européenne réclame de pouvoir exporter plus facilement du lait, du fromage et du vin en Amérique du Sud, mais aussi des voitures. Pour l'heure, les négociations sont en cours. Elles ont repris mercredi à Asuncion, au Paraguay.
- Que craignent les agriculteurs ?
Les agriculteurs - et en particuliers les éleveurs - s'inquiètent d'une concurrence trop forte. Car la viande bovine en provenance du Mercosur sera vendue moins chère que la viande produite en Europe. Aussi, les agriculteurs sud américains ne sont pas soumis aux mêmes normes sanitaires que les éleveurs français. Les agriculteurs redoutent donc des problèmes de qualité et de sécurité sanitaire.
"On va importer des produits du Brésil, de l'Argentine, en Europe. Des produits qui ne respectent en rien les règles européennes. C'est une catastrophe pour nos agriculteurs", dénonce jeudi sur Europe 1 Samuel Vandaele, secrétaire général des Jeunes Agriculteurs (JA). "Le poulet venu du Brésil coûtera deux fois moins cher, mais produit avec des médicaments, des hormones etc. Soit on va perdre nos marchés, soit on va s'aligner en sachant que nos charges sont bien supérieures", souligne également Matthieu Leroy, membre des Jeunes agriculteurs du Nord. "Aujourd'hui, on mélange tout et l'agriculture française se retrouve le dindon de la farce", a déploré mercredi Céline Maginot, présidente de la FDSEA de la Meuse.
" Sur le Mercosur, nous l'avons toujours dit, pour ce qui concerne la filière bovine, le compte n'y est pas "
Pour sa part, la Commission européenne minimise l'impact pour les agriculteurs de la fin des droits de douanes. Selon Bruxelles, les Européens ne vont pas subitement se mettre à acheter du bœuf argentin plutôt que de la viande bovine française : ils vont plutôt acheter argentin au lieu d'acheter américain, par exemple.
Aussi, selon, le Cercle de Belem, qui regroupe des intellectuels européens libéraux et progressistes, cité par La Tribune, les réglementations des pays sud américains sont différentes des standards européens, mais certains pays sont en train de revoir leur critères de qualité. "Il convient de rassurer les Européens soucieux de la qualité des produits agricoles en provenance du Mercosur. Bien que leurs réglementations diffèrent des standards européens, les pays Sud-Américains revoient actuellement leurs critères de qualité afin de se conformer aux exigences européennes. A titre d'exemple, rappelons que, pour faciliter ses exportations, le Brésil respecte déjà les réglementations européennes relatives à la traçabilité des produits alimentaires. En conséquence, la qualité des produits importés ne peut être invoquée pour freiner le processus d'ouverture", argumente le Cercle de Belem.
- Que répondent Emmanuel Macron et Stéphane Travert ?
Mardi, le ministre de l'Agriculture, Stéphane Travert, a assuré son soutien aux agriculteurs français : "Sur le Mercosur, nous l'avons toujours dit, pour ce qui concerne la filière bovine, le compte n'y est pas". En d'autres termes, l'accord n'est pas équitable pour les agriculteurs français. "La France défend sa filière bovine", a-t-il encore clamé mercredi devant l'Assemblée nationale.
Mais le discours d'Emmanuel Macron sur la question est plus ambivalent. En octobre 2017, le chef de l'Etat avait assuré ne pas vouloir se précipiter pour négocier un accord. Cette position est aussi celle de dix pays européens : l'Autriche, la Belgique, la Hongrie, l'Irlande, la Lituanie, le Luxembourg, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie, comme le rapportait en septembre Le Figaro.
Mais le président français avait ensuite expliqué fin janvier que cet accord pouvait être intéressant pour l'Europe et les pays du Mercosur et qu'il serait "pertinent d'essayer de le finaliser rapidement dans le contexte géopolitique actuel", rappelle Le Monde. C'est à dire avant le début de la campagne pour l'élection présidentielle au Brésil, qui démarre au printemps.
Jeudi à l'issue de la réunion avec les agriculteurs, Emmanuel Macron n'est pas revenu sur ces propos. Mais il a voulu se montrer rassurant : "Il n'y aura aucune réduction de nos standards de qualité, sociaux, environnementaux, ou sanitaires à travers cette négociation", a promis le président, en assurant qu'il travaillerait à ce qu'il y ait des possibilités de "bien contrôler aux frontières la traçabilité et les normes environnementales et sociales".