Le Ceta, accord économique entre le Canada et l’Union européenne, doit être "mis sous surveillance" afin "d’assurer une mise en œuvre exemplaire". Voilà, en substance, l’objectif du "plan d’action" pour l’application du Ceta*, présenté mercredi par le gouvernement et détaillé par le porte-parole Christophe Castaner à la sortie du Conseil des ministres. L’exécutif espère ainsi lever les inquiétudes environnementales et sanitaires suscitées par ce traité. Pour les associations, il ne va pourtant pas assez loin.
Un "veto climatique". Dès la promulgation du Ceta au niveau de l’UE, l’environnement est apparu comme le parent pauvre du traité. Bien conscient de ce déséquilibre, Édouard Philippe a instauré cet été une commission présidée par Katheline Schubert, enseignante à la Paris School of Economics, et chargée d’évaluer "l’impact du Ceta sur l’environnement, le climat et la santé". Un rapport a été remis au Premier ministre mi-septembre et c’est sur cette base que le gouvernement a présenté mercredi son "plan d’action", une série de mesures pensées comme des propositions à ses partenaires canadiens et européens. Une démarche de transparence que Karine Jacquemart, directrice générale de l’ONG Foodwatch France, juge "encourageante" mais qui "ne va pas assez loin".
Parmi les mesures de surveillance évoquées, la France veut notamment mettre en place une "forme de veto climatique" pour garantir que les mesures destinées à limiter le réchauffement climatique ne soient pas attaquées dans le cadre du Ceta, a indiqué le ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot. Ce veto doit répondre à la crainte de voir des investisseurs remettre en cause, dans le cadre des tribunaux d’arbitrage du traité, les engagements climatiques pris par la France, en particulier ceux de l’Accord de Paris.
" Nous craignons que le Canada ait une influence majeure sur les normes européennes "
Aucune garantie. "Rien ne garantit que cette proposition sera acceptée par l’UE et le Canada et elle ne permettra pas d’écarter automatiquement les poursuites", regrette, dans un communiqué commun, la Fondation pour la nature et pour l’homme (FNH), l’Institut Veblen (un think tank pour la transition écologique) et Foodwatch. "Si le Parlement ratifie le Ceta, les mesures de sanction des carburants issus des sables bitumineux, d'interdiction du glyphosate ou encore d'étiquetage du bœuf canadien élevé dans des conditions déplorables pourraient être attaquées par Total ou Exxon, Monsanto ou les éleveurs canadiens", a dénoncé l'eurodéputé écologiste Yannick Jadot.
"C’est tout le processus d’harmonisation réglementaire qui nous fait peur, d’autant qu’il est déjà en œuvre dans l’application provisoire du Ceta", appuie Karine Jacquemart. "C’est un processus mal défini, qui risque d’aboutir à une harmonisation par le bas. Surtout, nous craignons que le Canada ait une influence majeure sur les normes européennes, par le biais de ces décisions commerciales, ce qui constituerait un déni de démocratie", dénonce la directrice générale de Foodwatch France.
Conséquences commerciales. Les associations sont également soucieuses des conséquences environnementales de l’augmentation des échanges liée à la réduction, voire la suppression, des droits de douane entre le Canada et l’UE. "Qui dit hausse des échanges, dit hausse des rejets de gaz à effet de serre. Or, le Ceta ne prévoit pas de contrepartie pour rester dans les objectifs de l’Accord de Paris", explique Mathilde Dupré, chargée du programme commerce à l’Institut Veblen.
La volonté du Canada d’accroître sa production et ses exportations de pétrole issu de sables bitumeux fait partie des motifs d’inquiétude environnementaux. De plus, la volonté de la France d’arrêter la production d’hydrocarbures d’ici 2040 pourrait être attaquée par les industriels canadiens ayant des intérêts en France. Cela n’empêcherait pas la loi d’être appliquée mais l’État pourrait être contraint de dédommager les entreprises au titre des profits non-réalisés.
Pas de mention du principe de précaution. Autre sujet d’inquiétude : les normes alimentaires et sanitaires, beaucoup moins strictes au Canada qu’au sein de l’Union européenne. "Le principe de précaution est inscrit dans les traités européens et dans la Constitution française. C’est ce principe qui nous empêche de manger du bœuf aux hormones et des OGM à chaque repas", rappelle une représentante de l’ONG Foodwatch. "Sauf que ce principe n’existe pas au Canada, où les citoyens mangent des OGM et ne le savent pas toujours." Aucune mention explicite au principe de précaution n’a donc été faite dans le texte du Ceta, ce qui implique, selon Mathilde Dupré, que "l’UE peut être attaquée sur ce principe pour les restrictions qu’elle impose sur le commerce".
" Les mesures du gouvernement manquent de robustesse "
Du saumon OGM en Europe ? Dernier exemple en date, dénoncé par Foodwatch : le saumon OGM, dont la commercialisation a été approuvée par le Canada. Ceta ou pas, l’importation de ce saumon génétiquement modifié est interdite. Mais le problème vient du fait que l’étiquetage des produits OGM n’est pas obligatoire au Canada. Foodwatch craint donc que la réduction des droits de douanes entraîne une arrivée sur le marché européen de saumon OGM non-étiqueté et donc difficile à contrôler.
"La traçabilité des produits est un vrai problème. Les mesures du gouvernement manquent de robustesse", déplore Mathilde Dupré, qui s’alarme de précédents. "Le Canada a déjà attaqué les États-Unis, dans le cadre de l’accord de libre-échange nord-américain, sur la question de l’étiquetage de la viande, obligatoire aux États-Unis. Le tribunal d’arbitrage a considéré que cela constituait une barrière commerciale et a donné raison au Canada, entraînant l’abrogation de la loi américaine. En l’état, rien n’empêchera le Canada de faire de même avec l’UE avec le Ceta", alerte-t-elle.
Plan "timide". Les inquiétudes sur la question des normes sanitaires résonnent même au sein de la majorité. Ce plan montre "les limites de l'exercice : pas simple d'agir a posteriori sur un accord déjà négocié", a commenté le député LREM Matthieu Orphelin, qui avait, avec 17 autres élus de la majorité, suggéré une trentaine de mesures pour encadrer le Ceta. "Je retrouve bon nombre de nos propositions, même si le plan reste par ailleurs trop timide sur certains sujets comme les OGM", a-t-il ajouté.
Nouvelle bataille au Parlement. Globalement, dans leur communiqué, la FNH, l’Institut Veblen et Foodwatch "regrettent que le gouvernement n’ait pas tiré les conclusions des travaux des experts". "Les annonces du gouvernement se limitent à des mesures de suivi des impacts de l’accord et de transparence des mécanismes instaurés par le Ceta, très insuffisantes pour prévenir les risques pour la santé et l’environnement identifiés par la Commission Schubert".
Karine Jacquemart estime de son côté que la France doit aller plus loin pour protéger les consommateurs européens : "Sans le courage politique d’obtenir une révision du Ceta en renégociant avec nos partenaires, cet accord ne peut que créer un précédent dangereux". En attendant, les associations entament une nouvelle bataille auprès des députés, pour les convaincre de ne pas ratifier le traité.
*Le Ceta est partiellement entré en application depuis fin septembre mais attend toujours d’être ratifié par les parlements nationaux, ce qui devrait être chose faite au deuxième semestre 2018 en France, selon Nicolas Hulot.