C’est une petite révolution qui se profile dans le monde de l’entreprise. Dans le cadre de l’examen de la loi Pacte, qui a débuté mardi à l’Assemblée nationale, les députés ont adopté un amendement visant à améliorer l’information sur les salaires au sein de l’entreprise. Dans le même temps, Bruno Le Maire s’est dit "favorable" à la publication du salaire médian, seuil en dessous duquel sont payés la moitié des salariés (en France, il est de 1.710 euros). Deux mesures qui constituent un premier pas vers une transparence accrue des rémunérations des salariés.
Fournir une grille de comparaison aux salariés. L’amendement voté par les députés, à l'initiative des rapporteurs (LREM) Roland Lescure et Coralie Dubost, propose de publier "les informations relatives au ratio du niveau et de l'évolution des rémunérations des dirigeants par rapport à la moyenne des rémunérations de l'entreprise, hors celles des dirigeants". Concrètement, il s’agirait de rendre public à l’ensemble des collaborateurs d’une entreprise le montant des rémunérations les plus élevées et leur écart par rapport au salaire moyen en interne.
Bruno Le Maire, qui s’était déclaré "favorable" à cette proposition des députés de la majorité, a même souhaité aller plus loin. "Je suis favorable à ce qu'il y ait un rapport d'équité qui soit obligatoire pour les plus grandes entreprises françaises", a déclaré le ministre de l’Économie, mardi sur BFMTV. Dans ce rapport d'équité, inscrit dans la loi Pacte par le biais d'un amendement du gouvernement, "figurera non seulement la moyenne des salaires, mais également la médiane de façon à ce qu'il y ait une transparence sur la distribution des salaires dans les plus grandes entreprises françaises et sur les écarts salariaux entre les chefs d'entreprise et les salariés", a-t-il expliqué.
La transparence "met fin aux bruits de couloir". Voilà pour la vision. Mais comment la transparence des salaires s’appliquera-t-elle concrètement en entreprise ? Pour se faire une idée, direction Boulogne-Billancourt et l’entreprise Lucca, éditrice de logiciels pour la gestion des ressources humaines. Cela fait maintenant quinze ans que la rémunération de la centaine d’employés est rendue publique via une grille. "Une fois qu’on a regardé on y retourne pas trop parce qu’on a à peu près les mêmes salaires. Il y a des écarts mais c’est loin d’être aussi scandaleux que ce qu’on peut voir dans d’autres structures", souligne Marie, qui ne rechigne pas elle-même à nous préciser qu’elle gagne 2.400 euros net par mois.
" La transparence force à justifier les critères de la grille de rémunération "
C’est moins que ses deux collègues Benoît et Bastien, rémunérés respectivement 3.500 et 2.500 euros net. Mais tous les trois n’ont aucun tabou à ce sujet. "Ce que je trouve intéressant c’est que ça met fin aux bruits de couloir et que ça force à justifier les critères de la grille de rémunération", note Benoît, qui trouve ainsi le salaire de son patron "plutôt justifié".
Gilles Satgé, le PDG de Lucca, ne nous dévoile pas sa rémunération ("pour le savoir, il faut faire partie de la société") mais affirme qu’elle est n’est pas plus de "quatre à cinq fois supérieure au salaire le plus bas de la société". "Je ne peux pas m’augmenter autant que je veux, on me surveille. Si les salaires n’étaient pas publics, je gagnerais 20 ou 30% de plus qu’actuellement", assure-t-il par ailleurs. Si limiter la rémunération des dirigeants n’est pas un objectif (pour l’instant) affiché des députés et du gouvernement, cela peut être une conséquence à long terme de la transparence des salaires.
Un premier pas… qui en appelle d’autres ? Pour autant, le cas de Lucca est rare en France et les évolutions législatives apportées par la loi Pacte n’obligeront pas les entreprises à aller aussi loin. D’abord, seules celles cotées en Bourse et dont le siège social est domicilié en France sont concernées, soit un peu moins de 800 sociétés. Il n’est ensuite pas question de révéler les salaires de tous les employés d’une entreprise, simplement de "publier des informations sur le niveau et l’évolution des rémunérations des dirigeants par rapport à la moyenne et la médiane des rémunérations des salariés de l’entreprise", pour reprendre les mots de Matthieu Orphelin.
Principal défenseur des mesures de transparence sur les salaires, le député LREM souhaitait aller plus loin que l’amendement voté par ses collègues. En plus du salaire moyen et du salaire médian, il plaidait pour une grille des rémunérations par quartile, ainsi que la publication de "l'écart entre la rémunération la plus haute et la rémunération médiane" et de la différence entre "la rémunération la plus haute et la plus basse". Après les déclarations de Bruno Le Maire en faveur du salaire médian, Matthieu Orphelin a fait part de sa satisfaction et s’est félicité de cette "avancée décisive pour plus de transparence dans les écarts de salaire".