La France et l’Italie peuvent-elles se réconcilier sur le dossier naval ? En déplacement à Rome, lundi, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire va tenter d’apaiser les relations transalpines, un mois et demi après la décision française de nationaliser temporairement les chantiers de Saint-Nazaire, fin juillet. Ce droit de préemption avait alors irrité au plus haut point les Italiens et le groupe Fincantieri, qui devait initialement prendre le contrôle des chantiers précédemment détenus par le Coréen STX. Mais si la France n’a toujours pas l’intention de laisser l’Italien devenir majoritaire au capital des chantiers nazairiens, une solution a émergé au coeur de l’été : réunir les deux pays au sein d’un groupe européen, à la manière de ce qui a été fait dans la construction aérienne, avec Airbus
À terme, "un leader mondial" ? Fin juillet, Bruno Le Maire avait dévoilé ses objectifs en la matière : "Jusque-là, on partait sur une base de coopération dans le secteur industriel civil : la réalisation de paquebots de plaisance, pour résumer. Eh bien, nous disons à nos amis italiens : regardons aussi ce que nous pouvons faire dans le secteur militaire, dans les navires de surface précisément, et bâtissons un grand champion de l'industrie navale européenne", déclarait-il au JDD. La semaine dernière, la ministre des Armées Florence Parly a confirmé la mise en place de ce chantier colossal : "Nous travaillons avec nos collègues italiens à la constitution d'une alliance entre les industries navales militaires françaises et italiennes dans le domaine des bâtiments de surface avec l'ambition de constituer à terme un leader mondial."
Dans les faits, rien n’est encore officiellement lancé. Utilisée pour la première fois par le PDG de Naval Group en 2015, l’expression "Airbus de la mer" revient pourtant avec insistance chez les acteurs du franco-italiens du dossier, preuve que la coopération franco-allemande dans le domaine de l’aéronautique est vue comme un exemple : entamée dans les années 1970 avec la naissance d’Airbus, elle s’est renforcée au début des années 2000 avec la création du groupe EADS (devenu Airbus le 1er janvier dernier) sous l’impulsion de la France, de l’Allemagne et de l’Espagne. Une quinzaine d’années plus tard, la France pourrait prendre part à la construction d’un autre géant européen, cette fois-ci dans le domaine naval. Un domaine où le marché est plus éclaté que l’aéronautique, avec pas moins de 28 chantiers rien qu’en France.
Près de 9 milliards d’euros de chiffre d’affaires. L’idée serait d’associer l’Italien Fincantieri et son concurrent français Naval Group, anciennement connu sous le nom de DCNS. La réunion de ces deux groupes formerait un ensemble au chiffre d’affaires de près de 9 milliards d’euros, d’après les chiffres disponibles pour 2016. De quoi déjà dépasser quelques géants coréens du secteur, comme Samsung Heavy Industries (7,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires l’année dernière). Et rivaliser dans le futur avec les groupes chinois, moins puissants pour l’heure mais en pleine croissance. Ensuite, l’initiative pourrait être élargie à d’autres compagnies européennes, comme le Néerlandais Damen, 1,7 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2016 et possesseur d’un chantier à Dunkerque.
Naval Group pour le militaire, Fincantieri côté civil ? Le futur ensemble intégrerait des entreprises aux compétences bien établies en matière militaire : Naval Group en a fait sa spécialité et Fincantieri bâtit lui aussi des frégates et des corvettes, par exemple. Mais le civil ne serait pas en reste, car Fincantieri est le leader international de la construction de navire de croisières, avec près de la moitié de la production mondiale sous son contrôle. À terme, comme Airbus avec ses divisions commerciale, hélicoptères et défense, son équivalent naval pourrait comporter une partie civile et une autre militaire.
Réunion importante dans deux semaines. Avec un tel groupe, la concurrence entre entreprises européennes pour répondre aux appels d’offres extérieurs ne serait plus un obstacle. Reste un problème de calendrier : le lancement d’une telle structure prendrait plusieurs années et le gouvernement n’a pas précisé la durée pendant laquelle il compte garder les chantiers navals de Saint-Nazaire dans son giron. Dans ces conditions, le sommet franco-italien de Lyon, mercredi 27 septembre, sera décisif pour poser les bases d’une alliance industrielle au niveau européen. Et régler ainsi les dissensions franco-italiennes qui ont éclaté cet été. Un chantier en bonne voie ? À en croire les déclarations au Monde d’un observateur proche de la direction de Fincantieri, lundi, "si nous allons dans cette direction (d’un groupe franco-italien, NDLR), une déclaration d’intention lors du sommet de Lyon pourrait suffire."