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SAISON 2021 - 2022, modifié à

Écoutez le récit "Au Cœur de l’Histoire" consacré à Henri Charrière, alias "Papillon", le Français qui est devenu le bagnard le plus connu de tous les temps suite à la publication de ses mémoires en 1969. Un personnage symbole de liberté, mais dont les aventures, racontées dans cet ouvrage présenté comme autobiographique, ont souvent été remises en question par les écrivains et les journalistes qui se sont intéressés à cette affaire... Envoyé au bagne en Guyane en 1933 pour le meurtre d’un collègue proxénète qu’il a toujours nié avoir commis, Papillon aurait réussi à s’échapper de cette effroyable prison qu’était le bagne de Saint-Laurent-du-Maroni en un rien de temps. Comment se serait-il évadé ? Et lesquelles des cavales relatées dans son livre se sont réellement produites ? Dans cette première partie d’épisode produite par Europe 1 Studio, Clémentine Portier-Kaltenbach raconte le plan monté par Papillon pour s’échapper du pénitencier.

Ecoutez l'épisode entier sur notre chaîne YouTube.

Le 29 juillet 1973 disparaissait à Madrid Henri Charrière, alias « Papillon ». Celui qui était devenu, à la suite de la publication de ses mémoires, le bagnard le plus connu de la planète, a achevé sa vie dans l'opulence et la célébrité. Immortalisé au cinéma sous les traits de Steve McQueen, Papillon est devenu le symbole de cette aspiration à la liberté qu’aucun coup du sort ne peu éteindre.

Pourtant, les années passant, de nombreux doutes ont été émis par certains écrivains et journalistes, tentés d’éprouver la véracité des épisodes relatés par l'ancien bagnard. Quelle a été sa vie dans le pénitencier de Saint-Laurent du Maroni ? Comment s’est-il évadé ? A-t-il menti sur ses exploits ? C’est ce que nous allons découvrir.

Condamnation et désir de vengeance

Nous sommes le 26 octobre 1931, au Palais de Justice de la seine à Paris. Le temps est gris, il fait froid, un vague brouillard flotte sur les quais. On a tiré Henri Charrière, un jeune homme de 25 ans, de la cellule qu'il occupe à la Conciergerie depuis près d'un an.

Accusé du meurtre d'un proxénète de Montmartre, il se prépare à entendre le verdict prononcé par la cour. Depuis son arrestation, il ne cesse de clamer son innocence. Son avocat le rassure : rien ne peut être prouvé contre lui dans ce crime, il sera acquitté. Lorsque retentit l'ordre de se lever, Henri Charrière, confiant, toise ce petit groupe de magistrats dont le métier est de décider du sort des hommes. Il a tenu à se présenter à eux dans son plus beau costume. À son cou, un nœud papillon bleu ciel qui contraste singulièrement avec la pourpre de ses juges. Debout, Henri Charrière sent son coeur battre plus vite que de coutume.

" Accusé ! Les jurés ayant répondu oui à toutes les questions, sauf une, celle de la préméditation, vous êtes condamné à subir une peine de travaux forcés à perpétuité. Avez-vous quelque chose à dire ? "

Henri Charrière malgré l'effrayant verdict n'exprime pas la moindre émotion. Il répète seulement qu'il est innocent. Ce jeune prévenu vient d'être condamné à ce qu'on appelle alors dans le monde de la criminalité, les durs. Les durs, ce sont les travaux forcés, ils font trembler les pires scélérats. En Guyane, où se trouve le pénitencier, on parle de 80 % de morts par an. Si les effectifs de la prison se maintiennent bon an mal an, c'est juste parce que chaque année apporte son lot de 2 000 détenus.

La Guyane, c'est la chaleur étouffante et l'humidité, les moustiques, la malaria, la fièvre jaune, la tuberculose, on dit même qu'ils y trouvent des lépreux. Nul ne s'échappe de cet enfer, on y va pour y pourrir et y terminer sa vie en quelques mois.

On a ramené Henri Charrière dans sa cellule de la Conciergerie. Toute la nuit, il rumine des projets de vengeance. Il rêve de crever les yeux du procureur, de lui arracher la langue. Au petit matin, ayant épuisé toutes les ressources de son imagination pour faire payer ses bourreaux, il se fait le serment de ne pas rester plus de deux ans au bagne. C’est juré, il s'en évadera !

Parmi les prisonniers, Henri Charrière jouit d'une réputation de dur à cuire, mais un dur apprécié pour sa droiture, son honnêteté, sa fidélité en amitié. Au milieu de cette population de criminels de toutes catégories, il est l'un de ceux qui a le dossier le plus léger. D’abord connu pour des faits de petite délinquance, il s'est fait épingler pour proxénétisme, mais on a peine à croire que ce beau gaillard dont le charme et le charisme ont fait chavirer le cœur de beaucoup de femmes, ait pu, comme on l'a dit, poignarder froidement un collègue parce qu'il le soupçonnait d'être un mouchard.

Pour tous ses compagnons de captivité, la peine qu'on lui inflige est tout bonnement invraisemblable. Les jours passent. Lors de son transfert à la centrale de Caen, dernière étape avant l'île de Ré, on donne à Henri Charrière sa tenue de bagnard : veste et pantalon de bure et une paire de sabots. Durant les mois d'hiver, il faut bien s'habituer à souffrir du froid dans ce nouveau costume.

C’est à l'île de Ré que Charrière scelle ses plus belles amitiés. Dans sa cellule, un prêtre vient lui parler. Il n'est pas sourd à l'espérance. Au moment de prier, il pleure, mais pas question pardonner à ses juges. Pour lui, c'est mission impossible, cette injonction de pardonner. Il en rêve la nuit, peine perdue. Le sentiment d'injustice, l'humiliation, la perspective de terminer sa vie au bagne : tout cela appelle la vengeance.

Henri Charrière, dur à cuire et tête brûlée

Dans la solitude de sa cellule il ressasse son passé, son enfance dans une famille aimante, sa mère qu'il aimait jusqu'à l'adoration, morte alors qu'il avait 11 ans. Il ne s'en est jamais remis. Cette mort soudaine a été la première injustice qu'il ait eu à subir. Il voit dans ce premier drame l'origine même du processus qu'il a mené en prison.

Son père l'envoie en pension dans le midi, à Crest. Là-bas, il prend l'habitude de se battre ; une simple allusion désobligeante à sa condition d'orphelins de mère et les coups pleuvent. Il finit par être renvoyé. Son père lui suggère alors de s'engager, un peu de discipline lui fera du bien.

Il signe donc pour trois ans dans la Marine, mais bien loin de le calmer, l'expérience confirme qu'il est allergique à la hiérarchie est incapable de se plier aux ordres. Les punitions s'enchaînent et c'est à cette époque qu’avide de liberté, il se fait tatouer un papillon sur la poitrine. Ce papillon sera son emblème et son surnom. Ses camarades ne l’appellent plus que Papi.

Au bout de quelques mois, il sait qu'il n'a aucun avenir dans l'armée. Les incidents successifs figurant dans son dossier l'identifient comme une tête brûlée, bonne pour les corvées ou le trou. Il décide de se faire réformer. Mais comment ? Une seule issue : s'infliger une blessure grave et suffisamment invalidante. Alors, ayant posé son pouce sur un billot, il l'écrase à coups de pierres et obtient ce qu'il voulait. Il quitte l'armée le 28 avril 1927. Il y aura passé deux ans.

La sinistre réputation du bagne de Cayenne

Retour à la prison de Caen. Après un séjour de plusieurs mois dans ses murs, Papillon est transféré à la forteresse de Saint-Martin de Ré. Avec ses compagnons de cellule, il a déjà mis au point les grandes lignes de son projet d'évasion.

Le 29 septembre 1933, à 6h du matin, les condamnés sont rassemblés dans la cour de la forteresse. Le vaisseau La Martinière est à quai, on va y embarquer les 1870 bagnards, en colonnes par deux. Papillon fait partie des 40 premiers, ses compagnons d'infortune et lui sont entassés à fond de cale.

Le voyage en bateau jusqu'à Cayenne, ce sont 18 jours d'une traversée éprouvante, émaillée par quelques incidents, dont le meurtre d'un prisonnier. Papillon a réussi à planquer un bistouri volé à l'infirmerie. Dans son rectum, il a caché un tube d'aluminium, un tube que les bagnards appellent un plan et qui contient de l'argent en billets de banque.

Le bagne de Cayenne jouit d'une réputation sinistre. Ouvert en 1852, il a donc quatre-vingts ans d'existence à l'époque où Papillon le découvre. On dit que les conditions de vie y ont un peu changé depuis que le journaliste Albert Londres en a dénoncé l'horreur dans un livre publié en 1925. Intitulé « Aubagne », ce livre a été un véritable coup de tonnerre dans le ciel serein de la discipline pénitentiaire. Il a obligé cette administration à engager quelques réformes et à respecter certaines règles élémentaires d'humanité.

Papillon entend dire qu’à Cayenne, on a tourné la page des sévices ignobles dont certains ont été rendus publics par la déportation inique du capitaine Dreyfus. L’administration du bagne a été intégralement confiée à l'armée : du directeur aux médecins en passant par les geôliers, tous sont militaires. La discipline ne doit plus signifier la torture. Lorsque Papillon aborde en Guyane il y rejoint 4500 bagnards, gardés par 400 surveillants.

Le pénitencier comprend plusieurs sites. Le camp central se trouve à Saint-Laurent du Maroni. Dans les forêts on a placé deux camps satellites : le malgache Godebert pour les fortes têtes, le nouveau camp pour les invalides. D’autres annexes de moindre importance sont situées à l'embouchure du fleuve, dont Cayenne et sur les îles royales et Saint-Joseph.

L’île du diable, où avait été déporté le capitaine Dreyfus, a compté jusqu'à 1000 bagnards. Mais en 1933, il n'y a plus qu'une poignée de prisonniers politiques, pour la plupart des espions de la grande guerre. Ils ont été laissés là, livrés à eux-mêmes, sans aucune obligation de travail. Ils élèvent des poules qu'ils vendent dans les villages du continent. Au large de Saint-Laurent, à portée de jumelles, se trouve un petit îlot où sont isolés les lépreux qui ne sont jamais plus d'une vingtaine.

Le bagne de Cayenne a cette particularité de ne compter que des condamnés à perpétuité. Parmi les nouveaux principes d'humanité, il a été décidé que les bagnards serait soumis au même régime alimentaire que leurs gardes. L’habillement est rudimentaire : pantalon et veste rayée rouge et blanc, chapeau de paille. Un an avant l'arrivée de Papillon, l'administration a décidé de chausser les détenus qui allaient auparavant pieds nus. Mesure essentielle car dans ces régions tropicales, de nombreuses infections graves peuvent être contractées au contact du sol. La cerise sur le gâteau de la charité, c'est l'arrivée en 1933 de moustiquaires distribuées à chaque détenu.

Toutes ces mesures ne sont hélas pas grand-chose, eu égard à l'extrême dureté du travail imposé aux bagnards, qui consiste pour l'essentiel à couper du bois dans les forêts avoisinantes. Chacun est tenu de couper un stère de bois par jour, scié et mis en ordre. Un stère de bois c'est un mètre cube de bois. Une fois la tâche achevée on est libre de faire ce qu'on veut.

Les cellules des prisonniers ne sont jamais fermées à clé, l'administration a pu s'apercevoir que la forêt tropicale était la plus éprouvée des serrures. Aucun évadé n'y a jamais survécu. On a même supprimé la fameuse manille, cette barre de justice fixée au mur et qui permet d'enchaîner les bagnards sanctionnés pour quelques délits.

Mettre le plan de l'évasion à exécution

Lorsque la Martinière accoste à Saint-Laurent du Maroni le 14 octobre 1933, la chaleur est étouffante. Dans la cale, plusieurs détenus ont perdu connaissance. Papillon jette un œil aux hublots.

" Il fait une chaleur épouvantable car on a fermé les hublots. À travers eux on voit la brousse. On est donc dans le Maroni, l'eau est boueuse. Cette forêt vierge est verte et impressionnante. Des oiseaux s'envolent, troublés par la sirène du bateau. On va très lentement, ce qui permet de détailler tout à son aise cette végétation vert obscur, exubérante et drue. On aperçoit les premières maisons en bois avec leur toit de tôles de zinc. Trois coups de sirènes et des bruits d’hélice nous apprennent qu'on arrive, puis tout bruit de machine s'arrête. On entendrait voler une mouche. "

Dès les premiers jours, Papillon et deux de ses compagnons se débrouillent pour être hospitalisés. Tout prisonnier normalement constitué sait que c'est l'endroit d'où l'on s'échappe le plus facilement. En un rien de temps, il a déjà répertorié tous les accès et fait un tableau précis des tours de garde effectué par les geôliers. Il a remarqué que le porte-clés, chargé de fermer l'hôpital, vient parfois vérifier la présence des malades en allant jusqu'à soulever les draps.

Il expose son plan, qui selon lui est bon, parce qu'il est simple : prélever l'un des pieds en fer de son lit, assommer le porte-clé, sortir, puis assommer les gardes, prendre leurs armes et sauter par-dessus le mur de la prison, du côté du fleuve. Enfin, se laisser emporter par le courant. Enfantin !

La perspective d'avoir à nager n'enchante pas ses camarades. Papillon s’accoquine alors avec Jésus, un détenu libéré qui, condamné à la relégation, passe son temps entre les parties de pêche et l'hôpital. Jésus lui promet de l’attendre toutes les nuits sur son petit bateau, à l'aplomb du mur de la prison. Pour prix de ses services, quelques billets prélevés dans le fameux tube d'aluminium qu’il dissimule depuis les premiers jours de son incarcération.

 Quelle sera l'issue de cette première cavale ? Quelles péripéties attendent Papillon et ses compagnons ? Vous le saurez dans la seconde partie de cet épisode.

 

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"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio

Ecriture et présentation : Clémentine Portier-Kaltenbach

Production : Europe 1 Studio

Réalisation : Christophe Daviaud

Diffusion : Eloïse Bertil

Graphisme : Sidonie Mangin