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Chaque jour, David Abiker scrute la presse papier et le web et décrypte l'actualité.

"Je préfère l’humain aux ratios"

Une citation qu’on lit dans le Figaro et que l’on doit à Daniel Augereau (fondateur de Synergie, groupe de recrutement et de travail temporaire fondé il y a 50 ans). Que dit ce patron passionné de relations humaines ? "Il faut aimer ses collaborateurs afin qu’ils aient envie de vous suivre là où vous voulez les entraîner. Je préfère l’humain aux ratios". "Je préfère l’humain aux ratios", voilà une déclaration qui prend un sens particulier alors que s’ouvre ce lundi le procès de ce que les Échos appellent "les années noires de France Télécom". Le procès d’un management brutal pour Le Parisien-Aujourd’hui en France ou d’un management par la terreur pour l’Humanité qui parle d’un procès historique dont un des enjeux sera d’analyser la responsabilité d’une organisation mortifère, de ce que Bernard Stéphan appelle ce matin dans La Montagne "Un plan révélant les caractéristiques d’un harcèlement moral à grande échelle : supports technologiques intrusifs dans la vie des salariés, réaménagements déshumanisant des espaces de travail, réorganisations non concertées, mobilités forcées, incitations brutales au départ, contrôles agressifs, mises au placard, etc". Ce que Didier Lombard (PDG de France Télécom) appela à l’époque si maladroitement "la mode des suicides" a peut-être eu pour effet de lire désormais dans les interviews des dirigeants d’entreprise des phrases qui ressemble à celle de Daniel Augereau dans Le Figaro "Je préfère l’humain aux ratios".

Les victimes parlent

Dans Ouest France, Nadine parle pour la première fois du suicide de Camille, son compagnon qui s’est jeté sous un pont le 30 juillet 2009. Sa compagne raconte comment Camile a peu à peu perdu pied, fragilisé par son environnement de travail selon les témoins de l’époque. Un climat anxiogène, c’est ce que décrivent ce matin les victimes ou proches de victimes qui poursuivent l’entreprise et témoignent dans le Parisien-Aujourd’hui en France ou l’Humanité. Raphaël rapporte ainsi le courrier adressé par son père à la direction de l’entreprise en septembre 2009 avant de s’immoler par le feu, il y dénonce "ces cadres dépossédés de leur pouvoir qui ne sont plus rien d’autre que des ratios de la direction nationale. Je suis en trop", en conclut-il. Et dans l’Humanité, Yonnel (58 ans) qui a tenté de mettre fin à ses jours devant ses collègues, a cette phrase étonnante "Il n’y avait plus ces échanges qui faisaient la force de l’entreprise. Ils voulaient détruire notre professionnalisme".

Amnésie professionnelle

Et dans la page d’à côté, Daniel Linhart chercheuse au CNRS rapporte un entretien avec un cadre de France Télécom : "Vous savez ce que c’est mon travail ? C’est produire de l’amnésie pour que les agents oublient leurs valeurs professionnelles. Et comment s’y prend-on ? On bouge tout et tout le temps, et on casse les habitudes de travail".

Le procès d’un système

C’est "le procès inédit d’une politique de déstabilisation des salariés", peut-on lire dans Libération tandis que Les Échos expliquent pourquoi le jugement est une épée de Damoclès pour les entreprises car c’est la première fois que l’on va juger en France un système ayant pour but la réduction des effectifs quel qu’en soit le prix. Pas besoin dès lors de prouver un lien de subordination ou une relation entre la victime et les auteurs de ces politiques si l’organisation mise en place est à l’origine de la vague de suicides et du harcèlement. La France est le premier pays à poursuivre une entreprise sur le lien entre organisation du travail, mal être et suicide, ce qui explique notent Les Échos, pourquoi le monde économique est particulièrement attentif ce procès qui pourrait faire date et jurisprudence. La vague des suicides c’était il y a 10 ans.

Quelle politique RH après ?

Comment l’entreprise en est-elle sortie ? Bruno Mettling (DRH de 2010 à 2015) l’explique dans le Parisien-Aujourd’hui en France. C’est lui qui a eu la lourde tâche de pacifier France Télécom devenu Orange. L’ex DRH explique comment a été lancé une large consultation des salariés, comment 10.000 managers ont été formés à détecter les situations de souffrance. Et puis Bruno Mettling donne des chiffres : l’entreprise compte désormais 73 médecins, 210 personnes chargées de faire de la prévention, 500 spécialistes ressources humaines de proximité. Et il site un ratio (encore un ratio !) : 1% des effectifs de l’entreprises sont aujourd’hui dédiés à la santé au travail.

Management Magazine et les recettes du bien-être au travail

C’est ce qui s’appelle un chemin. Un chemin qu’on peut aussi mesurer à la lecture du Magazine Management d’avril mai qui revient sur les méthodes désormais utilisées pour améliorer le bien-être au travail. De la prévention du burnout à la détection du harcèlement, des Chiefs Happiness Officers aux managers formés à s’intéresser au bien-être de leurs équipes, toutes les recettes y passent sans oublier le potager d’entreprise, les applications mobile ou le sport. Si la littérature est aujourd’hui si riche sur le bonheur au travail, si l’on vous parle si souvent de l’entreprise libérée, des nouveaux modes de management et de ce qu’on appelle encore le sens au travail c’est en partie grâce et à cause de l’affaire France Télécom.