L'arrivée au pouvoir d'une nouvelle génération marque aussi l'apparition d'un nouveau langage politique, qui emprunte beaucoup au monde de l'entreprise, parfois non sans ridicule, et trahit l'entre-soi de la Macronie.
"Le discours du boss hier : on n’a pas fait dans le bottom-up, non, pour répondre à The Donald, bullshit d’ailleurs son discours. On a donné dans le top- down. On est sous-staffé à mort, mais y a toujours un spin doctor pour transformer un draft en arme avec effet blast assuré. Avec un n+1 total control freaks, on a intérêt à ne rien laisser passer".
Parler comme des managers de banques. Voici la teneur caricaturée et imaginaire, mais vraisemblable, d’un coup de fil que nous aurions pu passer à un membre de l’entourage d’Emmanuel Macron après son discours à l'ONU . Les journalistes se moquent régulièrement de cette novlangue usuelle dans la Macronie, mais se rendent à peine compte parfois qu’ils sont à leur tour contaminés. Après l’opération "team building" des députés En Marche! , pas plus tard que mardi on découvre dans un article qu’une députée de la majorité était la "whip" de la future discussion budgétaire. La whip ? La coordinatrice du groupe à la commission des finances. Il faut avoir regardé tous les épisodes de White house ou d’House of Cards en VO pour avoir une chance de comprendre. Avant, pour paraître sérieux, les élites usaient du latin, en Angleterre du français, désormais elles parlent comme des managers de banques.
La langue d'une génération... Cette "novlangue" est évidemment celle d’une génération, celle des trentenaires qui nous dirigent. Jacques Chirac par exemple, en son temps, pour dire "top down", se contentait d’un "un chef doit savoir cheffer". Ce mélange d’anglicismes et de jargon professionnel dit surtout "d’où" ces jeunes gens-là nous parlent, sociologiquement et idéologiquement. "C’est un signe d’appartenance à un milieu", confirme le linguiste Alain Rey lorsqu'on lui demande un décryptage, "un milieu qui colle à une réalité, celle de l’entreprise de la Silicon Valley, mais pas à toutes les réalités".
Une sémantique parfaitement raccord avec la vision de la France défendue par Emmanuel Macron. Par exemple, début septembre, il disait aux préfets : "je veux que vous soyez les entrepreneurs de l’Etat et non des automates de la fonction publique" Tous entrepreneurs pour redresser l’entreprise France ! On est loin de la complexité de la définition de la Nation, si chère à Ernest Renan !
... et d'une classe sociale. Le président s’est souvent agacé d’être "assigné à résidence" selon son expression, c’est-à-dire qu’on lui rappelle régulièrement d’où il venait, du monde de la banque, de l’entreprise privée, des milieux de l’argent. "Je suis libre", aimait-il à répéter pendant sa campagne. Libre sans doute, mais sa sémantique et celle de ses proches signent pourtant une "résidence" circonscrite et un brin excluante.