Chaque jour, Marion Lagardère scrute la presse papier et décrypte l'actualité.
Ce matin, cette question : peut-on encore croire ce qu’on nous annonce ?
Dit comme ça, c’est un brin complotiste, et pourtant.
Hier après-midi, la Une du Monde avait de quoi nous interpeller :
"vive émotion après le meurtre d’un journaliste russe à Kiev", titrait le journal, photo pleine page d’Arkadi Babtchenko, le reporter tué par balle.
Sauf qu’ à peine terminé la lecture du papier, excellent par ailleurs, on allume la radio (Europe 1 évidemment) et, là, qu’est-ce qu’on entend ?
"Retournement spectaculaire", le journaliste russe est vivant, il est réapparu en chair et en os lors d’une conférence de presse organisée par les services secrets ukrainiens.
Certes la nouvelle est bonne, le journaliste est vivant, mais la méthode interroge : "elle suscite stupeur et critiques", écrit Le Monde sur son site.
Le Parisien titre sur "l’incroyable fake news à la sauce ukrainienne", et note que "la mise en scène n’a pas été du gout de tout le monde. L’ONG Reporter sans frontières par exemple, condamne une simulation navrante".
Et pour cause, "la victoire tactique des ukrainiens pourrait bien se transformer en désastre stratégique, explique un spécialiste de la Russie, Mark Galeoti dans le Figaro, j’ose à peine imaginer, dit-il, comment leurs ennemis russes vont rire désormais lorsqu’ils les accuseront de quelque chose".
"Mais surtout, ajoute le même analyste cette fois dans Libération, en coopérant avec les services ukrainiens, Babtchenko a validé la thèse de Moscou selon laquelle les journalistes ne sont pas des décrypteurs objectifs de la réalité mais bien des agents. À notre époque de post-vérité, dit-il, ce sont des jeux dangereux, au prochain meurtre, plus personne n’y croira plus". Shaun Walker dans le quotidien britannique The Guardian ne dit pas autre chose : "la prochaine fois qu’un journaliste ou un opposant sera abattu, empoisonné, ou défenestré, la première question sera forcément : au fond, est-il vraiment mort ?". Ravageur, d’autant qu’il y a bel et bien des journalistes dont la mort n’a pas été élucidée, "entre autre, rappelle Libération, celle de Pavel Cheremet, reporter biélorusse dont la voiture a explosé dans le centre de Kiev en juillet 2016".
Lui n’est jamais revenu et l’enquête sur son assassinat n’a pas abouti.
Et puis, au-delà de la Russie, il y en a d’autres : l’une des dernières en date, c’est Daphé Caruana Galizia, journaliste à Malte, morte elle aussi dans l’explosion de sa voiture.
Assassinée, alors qu’elle enquêtait sur plusieurs affaires de corruption.
On retrouve son visage souriant dans le magazine Society qui essaye de faire le point sur l’enquête. "Essaye" parce qu’à lire le reportage d’Anthony Mansuy, on comprend que, là non plus, ça n’avance pas beaucoup. "Ça n’aboutit pas, résume le journaliste Joseph Muscat, c’est une faillite du système. Il en reste que, finalement, le crime paye". Même scénario pour Jan Kuciak, 27 ans, qui lui aussi travaillait sur le crime organisée et la corruption, et qu’on a retrouvé mort le 21 février en Slovaquie, rappelle Society.
Society qui publie également une longue interview croisée des deux cadors du journalisme d’investigation en France : Elise Lucet pour Cash Investigation et Fabrice Arfi de Médiapart.
Huit pages où tous les deux font le même constat : enquêter en France, faire du journalisme d’investigation, est de plus en plus difficile. Elise Lucet rappelle qu’elle en est à sa cinquième mise en examen, "on a même un État, l’Azerbaïdjan, dit-elle, qui nous poursuit en justice pour avoir utilisé le mot "dictature". Sans compter, Vincent Bolloré qui a enclenché six procès en six mois. Nous, à France Télévision, on a les moyens d’engager des frais avocats, mais pour d’autres, les plus petits, c’est très compliqué". Une interview dans laquelle journalistes politiques et éditorialistes en prennent pour leur grade, haro sur les "victimes consentantes de la "com’, sur ces rédactions qui acceptent que les ministres relisent leurs interviews avant publication, sur la connivence".
"Le pire ennemi du journaliste, résume Fabrice Arfi, ce n’est pas le mensonge, c’est la communication parce que, comme dit un vieux proverbe écossais : "il n’y a pas de mensonge s’il n’y a personne pour l’écouter"".
Interview à lire donc dans le dernier numéro de Society.
Et puisqu’on parle de communication, force est de constater ce matin que le gouvernement n’a pas chômé.
À commencer par Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’éducation, en interview dans Ouest France, l’Express et même Science & Avenir.
Enseignement toujours, mais cette fois pour le supérieur, Frédérique Vidal, interrogée par La Provence sur Parcours sup : "je comprends le stress des familles", dit-elle.
Autre porte-parole de l’action gouvernementale : Jean-Paul Delevoye, qui n’est pas ministre mais qui est chargé de réformer les retraites et qui explique le futur système dans Le Parisien, le Progrès ou encore la Voix du Nord.
"Sur les retraites, les français ne veulent pas être trompés", dit-il dans les Dernières Nouvelles d’Alsace. C’est vrai que c’est pas faux.
Enfin, Agnès Buzyn, ministre de la Santé, qui détaille son plan pour les personnes âgées dépendantes dans l’Opinion. L’Opinion qui met l’extrait suivant en titre : "ce n’est pas un défaut de vieillir, c’est une chance !", lance la ministre. Là aussi, c’est pas faux, mais qui croire ? Agnès Buzyn ? Ou la Une de Nord Eclair : "Roubaix : un seul aide-soignant pour 24 résidents à l’Ehpad, titre le journal, les proches des patients dénoncent les carences en personnel".
Vieillir, c’est une chance. À noter, sur le même sujet, le reportage de Pierre Bienvault dans La Croix, sur la détresse des aides-soignants qui remplissent leur mission dans des conditions éprouvantes et de plus en plus précaires.
Autant de personnels débordés qui, tous, attendent de voir pour croire quelque promesse que ce soit.
Qui croire ? Et que croire ? Là encore la question se pose à la lecture du Figaro et son article sur "les cristaux guérisseurs".
Où l’on vous parle de la vogue incroyable "qui aimante l’univers du bien-être et de la beauté", en l’occurrence le pouvoir des pierres semi-précieuses. "Les adeptes sont de plus en plus nombreux en France, à en croire le succès fou des pierres vendues par la créatrice Kari Geham, à Paris, mais aussi en Suisse et à Los Angeles. Des pendentifs, écrit le journal, inspirés et inspirants, dont les prix démarrent à 150 euros et qu’elle a fabriqués après avoir pris des cours de gemmologie et de lithothérapie.
"J’ai effectué un soin d’harmonisation des chakras à base de cristaux qui a changé ma vie, dit-elle, depuis, j’en porte toujours à même la peau. Certes, les pierres ne soignent pas les maladies graves, précise-t-elle, mais elles sont porteuses d’émotions et peuvent développer des réactions étonnantes chez les gens"". Ainsi le quartz rose serait la pierre de l’amour, la sélénite celle de l’antistress, la turquoise et l’œil de tigre lutte contre le mauvais sort. Sur Internet, les recherches sur le pouvoir des pierres explosent : + 40% sur Google en 2017. Pourquoi ? "Parce que les gens ont envie d’un retour au source, explique un chasseur de tendance, ils veulent avoir l’impression de contrôler davantage la situation". Voilà, à coup sûr "la vraie phrase" de l’article, oui, d’une manière générale, sans avoir à utiliser de gri-gri, on aimerait bien contrôler davantage la situation.