cannabis 1:39
  • Copié
William Molinié , modifié à
Selon une note de la police judiciaire que s'est procurée Europe 1, la cannabiculture en France est de plus en plus "accessible et rentable" grâce à des techniques de culture disponibles sur internet et à des graines vendues légalement. De plus en plus de groupes criminels investissent le secteur, moins soumis à la pression policière.
INFO EUROPE 1

En avril 2021, dans une interview au FigaroEmmanuel Macron faisait de la lutte contre les stupéfiants, "la mère de toutes les batailles". Dans la foulée, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, musclait son "plan stups" à coups de renforts de policiers et de "harcèlement" systématique des points de deal.

2.778 trafics démantelés dans l'agglomération parisienne en moins d'un an

Régulièrement, le "premier flic de France" vante son bilan, comme lors de la cérémonie de la libération de Paris mercredi dernier : 2.778 trafics démantelés dans l'agglomération parisienne en moins d'un an, +112% d'amendes forfaitaires dressées, 50% de suspects en plus interpellés pour des trafics de drogue par rapport à l'année dernière.

Mais face à cette pression policière, les trafiquants, comme à leur habitude, s'adaptent et la contournent. Pour éviter les saisies de marchandises dans les ports ou sur la route, certains d'entre eux produisent "local" et font pousser leur propre production pour alimenter directement leur point de deal. La cannabiculture apparait ainsi comme une "culture accessible et rentable", décrit une récente note de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) que s'est procurée Europe 1.

Pour étayer leur constat, les rédacteurs de ce document établissent qu'une plantation de six pieds produit environ 1,44 kilo d'herbe – à raison de deux à cinq récoltes par an – générant ainsi un chiffre d'affaires annuel d'environ 14.400 euros. Ce qui permet de rentabiliser très rapidement les 500 euros investis initialement pour l'achat de graines et de matériel commercialisés légalement en ligne, voire directement dans des magasins, appelés "growshops", au nombre de 300 sur le territoire français.

Des millions d'euros en jeu

Les profits, élevés, peuvent facilement s'envoler. Ainsi, pour une plantation de 1.000 plants qui sortirait 240 kilos d'herbe chaque année, le chiffre d'affaires d'une "ferme de cannabis" est estimée par les enquêteurs spécialisés à 1,02 million d'euros par an pour la vente en gros, jusqu'à 2,4 millions d'euros pour la vente au détail.

Si l'image d'Épinal des soixante-huitards cultivant dans leur jardin quelques plants de cannabis pour leur consommation personnelle existent toujours, les groupes criminels organisés ont industrialisé la production, faisant même parfois appel au savoir-faire d'experts néerlandais – anciens trafiquants ou producteurs – qui viennent en France assurer la mise en place de leur cannabiculture.

Des fermes avec des systèmes antivol

Régulièrement, les policiers découvrent des "fermes" pouvant aller jusqu'à plusieurs milliers de pieds situés au sein de zones industrielles désaffectées ou de maisons isolées. Cette industrialisation est désormais tellement répandue que les trafiquants prévoient des dispositifs de protection contre le vol tels que "des systèmes d'alarme intrusion et de vidéosurveillance ainsi que des pièges et embauchent du personnel de surveillance", notent les enquêteurs spécialisés dans une autre récente note.

Des alliances avec les jardiniers vietnamiens

Pour contrer l'action de la police et tenter de passer inaperçus, ils investissent même dans des dispositifs d'isolation phonique et thermique, ou encore des filtres d'odeur, de sorte que ces sites deviennent quasiment indétectables. "Les démantèlements de sites de cannabiculture industriels révèlent en outre de manière presque systématique la présence d'un armement lourd [qui] vise notamment à protéger les cannabicultures des autres groupes criminels qui se livrent à la destruction de sites concurrents", poursuivent les analystes de la police judiciaire.

Des alliances avec les jardiniers vietnamiens

Les profils des trafiquants qui se sont lancés dans la cannabiculture en France sont généralement ceux qu'on retrouve habituellement dans le trafic de stupéfiants enkysté dans la délinquance de cité. La production de cannabis en intérieur a d'ailleurs été "une activité de substitution" lors de la crise sanitaire, relèvent les auteurs de cette note. Les policiers ont aussi observé l'arrivée opportuniste sur le secteur d'autres groupes issus du banditisme local ou de la communauté des gens du voyage.

Certains trafiquants parisiens font par ailleurs des alliances avec la communauté vietnamienne, dont les ressortissants sont engagés comme gestionnaires ou jardiniers directement dans "les fermes". "En localisant ainsi la production, les trafiquants s'affranchissent des réseaux d'importation. Ils choisissent aussi leurs plants, certains d'ailleurs sont génétiquement modifiés et sortent un produit avec un taux de THC bien supérieur et qui sera vendu plus cher", analyse un enquêteur du nord de la France où le phénomène a commencé à apparaître il y a plusieurs années. Il conclut : "Ce cannabis de plus en plus concentré en THC est un enjeu majeur pour la santé des consommateurs."