L'Europe et les États-Unis ? Suréquipés. L'Asie ? Trop d'acteurs pour un marché au potentiel déjà très exploité. Pour les constructeurs de smartphones, c'est certain : l'avenir, c'est l'Afrique. Le continent africain, longtemps relégué au rang de simple marché des appareils dits de "deuxième main", est désormais un véritable levier de croissance pour les fabricants de téléphones connectés. Et ce, malgré des problématiques d'équipement et des usages bien différents d'un pays à l'autre.
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350 millions de smartphones en 2017. En Europe, le taux d'équipements en smartphones arrive à saturation : d'après le cabinet d'études IDC, sept personnes sur dix en Europe de l'Ouest possédaient un smartphone fin 2014. En Afrique, la proportion est de l'ordre de 15%, à en croire un étude du cabinet Deloitte. Mais le nombre de smartphones devrait doubler d'ici 2017 sur le continent africain, pour dépasser les 350 millions d'appareils connectés d'ici deux Soit une prévision de croissance de 40% sur l'année en cours, avec 70 millions de smartphones vendus en Afrique en 2015.
Une autre culture de l'achat de téléphones. Difficile de comparer la culture d'achat d'un smartphone par les Européens et celle des Africains, analyse Antoine Kowalski, ancien journaliste pour Forbes Afrique interrogé par Europe 1. "Les gens changent beaucoup plus de portables en Afrique que chez nous. Ils achètent d'abord un téléphone, nu, puis achètent du crédit", explique ce spécialiste. Et si le continent s'équipe plus vite que n'importe quel autre avant lui, c'est parce que les ordinateurs n'ont jamais été massivement adoptés : "Pour faire simple, les Africains sont passés de rien aux mobiles directement", schématise Antoine Kowalski.
En Afrique, la carte prépayée est reine en matière de téléphonie mobile : "cela représente plus de 98% de nos ventes", confie à Europe 1 Bernard Mazetier, directeur Internet et Réseaux chez Orange, pour la zone AMEA (Afrique, Moyen-Orient et Asie). Ainsi, pour un peu moins de 45 euros, on peut s'offrir un smartphone entrée de gamme vendu avec 1 Go de forfait Internet, ainsi que 100 minutes et autant de SMS et ce sans engagement.
"Une culture de l'oral bien plus développée". Même à l'usage, le smartphone n'est pas le même en Afrique. "L'usage des smartphones est plus adapté à la culture de certains pays africain, davantage portée sur l'oral que sur l'écrit", explique Antoine Kowalski, désormais en charge du développement business de l'application Bobler. Ce service permet d'envoyer de courts messages vocaux accompagnés d'une photo qui plaît particulièrement aux Africains. "Par exemple, il est difficile d'envoyer des SMS ou autres messages textes sur smartphone en Wolof (langue parlée au Sénégal, en Mauritanie et en Gambie, Ndlr) : c'est une langue parlée, très peu transcrite". Autre atout des smartphones : "Les jeunes sont bien plus équipés que leurs parents", ajoute Bernard Mazetier, accélérant ainsi la lutte contre l'illettrisme encore répandu dans de nombreux pays.
Samsung écrase Apple. Alors que la marque à la pomme est une référence dans le monde entier, elle n'a jamais souhaité s'adapter aux marchés en développement. Résultat, son meilleur ennemi Samsung, qui a su s'adapter à la demande locale, a envahi massivement le continent africain. S'il est encore difficile d'établir une répartition des parts de marché, des tendances se sont dessinées. "On y trouve beaucoup de matériel chinois de plutôt bonne facture, à bas prix et qui se vend très très bien", a pu constater Antoine Kowalski. "Les constructeurs ont su s'adapter au marché africain et Samsung en particulier a conçu des portables totalement adaptés aux utilisateurs locaux. C'est à dire des smartphones moins puissants, dotés de moins de fonctionnalités mais qui marchent parfaitement", détaille le spécialiste.
Une absence quasi-totale de contenus locaux. L'avenir de la téléphonie en Afrique, au-delà de l'équipement en appareils, va se déporter vers les contenus. "Il n'y a quasiment aucun contenus/applications locaux", explique Bernard Mazetier. "Vous n'avez pas d'applications pour la vie de tous les jours : impossible de consulter les pharmacies de garde même en zones urbaines, aucune promotion de certains grands magasins n'est disponible en ligne et encore moins de publicité locale", indique le responsable chez Orange. "Même des applications de recettes africaines, il n'y en a pas !", s'étonne le responsable réseau de l'opérateur tricolore. En revanche, les applications de paiements en ligne se multiplient. Car les banques sont encore peu nombreuses sur place et les solutions d'échange d'argent "classiques" peu développées. Les Africains se sont donc organisés : on peut par exemple rembourser une dette, à distance, en achetant des cartes prépayées pour téléphoner, que l'on envoie ensuite à son créancier.
Des constructeurs africains émergent. Quand aux marques locales de smartphones, elles commencent à voir le jour. Vérone Mankou en est un des ambassadeurs : ce jeune entrepreneur congolais âgé de 27 ans a lancé le premier smartphone africain (vendu environ 38 euros) et la première tablette africaine (200 euros). Mais ces appareils, imaginés sur le continent africain, sont encore assemblés en Asie. Google a également senti le potentiel du continent en annonçant en 2014 une version simplifiée de son système d'exploitation mobile Android afin d'inciter les constructeurs à lancer des smartphones à moins de 100 euros. Un prix plafond qu'a adopté depuis plusieurs mois déjà Nokia, désormais propriété de Microsoft, avec des smartphones vendus quelques dizaines d'euros.
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Et c'est pas fini… Le développement du smartphone en Afrique est en pleine croissance et celle-ci est bien partie pour durer : "Les analystes ont été obligés de revoir leurs prévisions à la hausse au cours de l'année 2014 car les coûts des smartphones ont fortement baissé", révèle Bernard Mazetier. "En un an, le prix moyen d'un smartphone est passé de 40.000 (60 euros) à 25.000 Francs CFA (environ 40 euros) soit une baisse de près de 40% !", détaille l'expert. L'étape suivante pour le continent africain sera le déploiement de la 4G : un débit encore quasiment absent des pays d'Afrique et qui permettrait une véritable explosion de l'Internet mobile.