Les États-Unis ou la fabrique des héros

Après chaque fait divers ou événement tragique, les Etats-Unis se trouvent un ou plusieurs héros.
Après chaque fait divers ou événement tragique, les Etats-Unis se trouvent un ou plusieurs héros. © REUTERS
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ANALYSE - Outre-Atlantique, chaque fait divers ou catastrophe a son héros. Pourquoi ?

Après la découverte de la "Maison de l’horreur" de Cleveland, où trois jeunes femmes ont été séquestrées pendant dix ans, c’est son récit qui a tourné en boucle sur les chaînes américaines. En quelques heures, Charles Ramsey, voisin du tortionnaire, au verbe imagé, est devenu la "star" de ce fait divers, en racontant comment il avait permis de libérer les jeunes femmes. Comme à chaque événement violent, attentat ou catastrophe, les États-Unis se sont trouvés leur héros ordinaire, simple citoyen érigé au rang de modèle. Quitte à aller, parfois, un peu vite en besogne.

L'interview de Charles Ramsey :

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Dans l’actualité récente, ces héros sont légion : des enseignants de l’école de Newtown, faisant barrage de leur corps pour protéger les enfants, cibles du tueur Adam Lanza, à ce policier new yorkais célébré sur le web après avoir offert une paire de botte à un SDF, en novembre dernier. Sans oublier tous ceux dont le courage et l’abnégation ont été salués après les attentats du marathon de Boston, à la mi-avril.

"Exalter les vertus américaines"

Carlos Arredondo, originaire du Costa Rica, est devenu, en quelques heures, un héro sur les réseaux sociaux.

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A Boston, les médias américains ont ainsi particulièrement distingué Carlos Arredondo, originaire du Costa Rica, dont la réactivité après les explosions n’est pas passée inaperçus. Un héroïsme salué par Barack Obama lui-même, qui disait au lendemain des attentats : "ce que le monde a vu hier, après les explosions, ce sont des histoires d’héroïsme et de gentillesse, de générosité et d’amour", citant les coureurs qui avaient donné leur sang, ceux qui avaient aidé à soigner les blessés, ainsi que les équipes de secours.

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Autant de héros ordinaires qui "exaltent les vertus de la société américaine : le courage, le fait d’aider ceux qui sont dans la difficulté, le fait de partager, de sortir l’autre du gouffre dans lequel il a été plongé", explique à Europe1.fr André Kaspi, historien spécialiste des États-Unis.

Un phénomène plutôt américain

Si le phénomène semble plutôt cantonné aux États-Unis, c’est aussi parce que les Américains, encore plus que les autres, "aiment personnifier, incarner ce qui s’est passé", décrypte André Kaspi. Ces héros sont aussi l’expression d’un certain individualisme : "l’individu n’est pas seulement valorisé, il est exalté", notait le L.A. Times dans une analyse sur le sujet publiée en 1994.

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© Reuters

Ce n’est pas le cas en Europe, où l’idéal est "la répression de l’individu, de l’individualité, pour le bien commun", assure Leo Braudy, professeur de littérature à l’University of Southern California (USC). Dans les médias français, on trouve en effet assez peu de "héros" : il s’agit plutôt de souligner "la surprise de ceux qui ne s’attendaient pas au mal", analyse André Kaspi.

Héros, mode d’emploi

Pour devenir un héros outre-Atlantique, il faut plusieurs ingrédients : tout d’abord, avoir accompli un acte héroïque, en sauvant son voisin, un passant ou en se distinguant lors d’une tragédie ou d’un fait divers. Autre élément indispensable : être LE "bon client", celui qui sait s’exprimer et donner de la couleur à son récit.

C’est ainsi que Kai, un SDF autostoppeur, est devenu un héros du web en février après avoir raconté comment il avait réussi à empêcher un automobiliste de tuer des passants. Son interview haute en couleur, d’abord diffusée à la télévision, avait rapidement fait le tour des réseaux sociaux.

Le récit de l'autostoppeur :

Un moyen de "surmonter les catastrophes"

"Aux États-Unis, on exalte ce qui dépasse les autres. Il faut qu’il y ait des modèles", analyse André Kaspi. Ces modèles, ce sont aussi les pompiers de New York, célébrés partout aux Etats-Unis après les attentats du 11 septembre 2001. Un aspect "positif"  du drame, qui "permet aux Américains de surmonter les catastrophes". Et l’historien de souligner qu’après les attentats de Boston, le mot qui est ressorti est "strong" (fort). La devise "Boston Strong" s’est affichée un peu partout, sur des T-shirts, des bracelets ou des affiches, comme une manière de souligner que les valeurs américaines sont "si puissantes qu’elles peuvent l’emporter sur le mal".

Mais des héros parfois discutables

Dans leur désir de se trouver des modèles positifs, les médias américains vont cependant parfois trop vite. Quelques jours après le passage de Charles Ramsey sur toutes les chaînes, on a ainsi découvert que le "héros de Cleveland" avait peut-être pris quelques libertés avec la vérité. Un autre voisin, parlant uniquement espagnol, a en effet affirmé à la presse que Charles Ramsey n’avait pas sauvé les jeunes femmes captives. Pire : à force de recherches, la presse a fini par exhumer une condamnation pour violences conjugales. De quoi écorner sérieusement l’image du voisin idéal au comportement exemplaire…

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"Le magnifique n’est pas toujours irréprochable", admet André Kaspi. Parfois, il est même franchement discutable : Kai, le SDF sauveteur  de passants en Californie a vu son aura ternie à la mi-mai, quand il a été arrêté dans le New Jersey… pour meurtre.