Attentats au Sri Lanka : l'influence étrangère au cœur de l'enquête

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Mardi, les autorités sri-lankaises ont indiqué que les attentats avaient été commis "en représailles à l'attaque contre les musulmans de Christchurch". © AFP
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Margaux Lannuzel avec AFP , modifié à
L'Etat islamique a revendiqué mardi les attaques qui ont fait plus de 350 morts, tandis que les premiers éléments de l'enquête lient ces actes au récent massacre des mosquées de Christchurch, en Nouvelle-Zélande.
ON DÉCRYPTE

L'enquête avance, deux jours après les attaques qui ont visé des églises et des hôtels de luxe dimanche au Sri Lanka, faisant 359 morts et 500 blessés. Tandis que les autorités avaient attribué ces actes au mouvement islamiste local National Thowheeth Jama'ath (NTJ), ils ont été revendiqués mardi par l'organisation djihadiste Etat islamique, orientant les investigations sur l'importance de l'influence étrangère sur les kamikazes. Et laissant préfigurer un réseau qui dépasse les tensions communautaristes du pays.

L'islam radical, un élément "tout à fait nouveau". Depuis dimanche et en l'absence de revendication, les spécialistes ne pouvaient que noter l'aspect inédit de ces attentats, parmi les plus meurtriers depuis le 11 septembre. Dans un pays sorti de la guerre civile en mai 2009, mais toujours marqué par des rivalités ethniques, des affrontements avaient récemment éclaté entre la communauté bouddhiste cinghalaise, majoritaire, et la minorité musulmane. L'an passé, les autorités avaient même décrété douze jours d'état d'urgence pour mettre fin à des émeutes visant les musulmans dans le centre du pays. Mais les Chrétiens, représentant 7% de la population, ne semblaient pas constituer une cible. Interrogé sur la piste d'une attaque provenant de l'islam radical, Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l'Iris (Institut des relations internationales et stratégiques) évoquait un élément "tout à fait nouveau" dès lundi sur Europe 1.

"Une attaque coordonnée de cette ampleur ne porte pas la signature des violences ethniques initiées par la communauté musulmane au Sri Lanka", renchérissait auprès de RFI le chercheur Gerrit Kurtz, spécialiste du pays. "Depuis des décennies, il y a eu des attaques contre des églises par des bandes cinghalaises qui voulaient défendre le bouddhisme contre la menace d'une 'conversion immorale', comme ils le disent, de bouddhistes par les chrétiens. Mais il s'agit d’événements de très petite ampleur", expliquait de son côté à Libération Alan Keenan, directeur de projet pour l'ONG International Crisis Group. "Ces groupes sont violents. Ils attaquent les lieux de culte, brûlent des maisons en criant des slogans. Mais ils ne tuent pas 300 personnes, ne s'en prennent pas aux étrangers. Même si nous ne disposons pas de toutes les preuves, ce qui s'est passé dimanche ressemble plus à ce que nous avons déjà vu dans d'autres pays : des attaques commises par des islamistes."

"Comment ils ont produit ces bombes ?". Les nouveaux éléments apportés à l'enquête semblent aller dans ce sens. L'identification du NTJ et la revendication de Daech ne sont pas contradictoires : confiant avoir "du mal à voir comment une petite organisation dans ce pays peut faire tout cela", un  porte-parole du gouvernement sri-lankais a indiqué mardi que la police du pays enquêtait sur "une éventuelle aide étrangère". "Comment ils forment des kamikazes ? Comment ils ont produit ces bombes ?" Les explosions survenues en début de matinée, dimanche, étaient pour la plupart des attentats-suicide. Les enquêteurs ont d'ores et déjà identifié deux frères de 20 et 30 ans, fils d'un riche commerçant et à la tête d'une "cellule terroriste familiale" qui aurait pu entretenir des liens avec l'étranger. Ces deux hommes se sont fait exploser respectivement au Shangri-La et au Cinnamon, deux hôtels de luxe du front de mer de la capitale, Colombo.

L'hypothèse d'actes dépassant les frontières du pays s'est encore renforcée, mardi, lorsque les autorités ont indiqué que les attentats avaient été commis "en représailles à l'attaque contre les musulmans de Christchurch", qui avait fait 50 morts le 15 mars dans deux mosquées de la grande ville du sud de la Nouvelle-Zélande. Le NTJ avait fait, il y a dix jours, l'objet d'une alerte aux services de police, selon laquelle il préparait des attentats suicides contre des églises et l'ambassade d'inde à Colombo. Mais d'après le porte-parole du gouvernement, cette mise en garde n'avait pas été transmise au Premier ministre, en raison, cette fois, d'une lutte interne : le chef du gouvernement est en conflit ouvert avec le président du Sri Lanka, et la police dépend de la juridiction de ce dernier.  

Le Sri Lanka, un nouveau front pour l'État islamique

Selon plusieurs analystes, le carnage de dimanche illustre aussi la "réussite" de la stratégie de l'Etat islamique, défait sur le terrain au Proche-Orient, et qui vise à continuer de frapper ou à faire frapper, au nom de son idéologie, dans le monde entier. Dès lundi, un compte Telegram pro-EI diffusait les photos de trois des kamikazes présumés, doigt d'une main levé vers le ciel, kalachnikov dans l'autre, sous le titre : "trois de nos frères commando au Sri Lanka", a rapporté le Site Institute.

Le National Thowheeth Jama'ath (NTJ), pointé du doigt par le gouvernement sri-lankais, "n'a pas de motivations locales. Ils veulent faire partie de l'insurrection globale de l'État islamique", a ainsi estimé auprès de l'AFP Zachary Abuza, professeur au National War College de Washington, spécialiste des groupes djihadistes en Asie du Sud-Est.