Belgique : derrière le "pacte de Marrakech", une crise politique profonde

Le Premier ministre belge Charles Michel a présenté sa démission, mardi soir.
Le Premier ministre belge Charles Michel a présenté sa démission, mardi soir. © DIRK WAEM / BELGA / AFP
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Margaux Lannuzel avec AFP
Provoquée par une controverse sur la question migratoire, la démission du Premier ministre Charles Michel fait plus largement le constat de l'absence de soutien pour son gouvernement, en place depuis 2014.
ON DÉCRYPTE

En 2014, il avait évité à son pays une ultime crise politique en accouchant d'un gouvernement négocié de haute lutte. Charles Michel, 38 ans, était alors le plus jeune Premier ministre du royaume belge depuis 1840. Moderne, libéral, déjà rompu aux codes de la politique, le prodige de la politique prenait plusieurs risques, dont celui de pactiser avec les nationalistes flamands de la N-VA, auxquels il avait pourtant juré de ne pas s'associer. C'est cette alliance qui a fait tomber son gouvernement, mardi, au terme de plusieurs semaines de controverse sur l'immigration.

Pourquoi le pacte sur les migrations suscite-t-il des crispations en Belgique ?

"Si le gouvernement soutient ce pacte, ce sera un gouvernement où il sera impossible de tenir notre position." Dès le 3 décembre, une semaine avant la signature dudit pacte, le numéro un de la N-VA, Bart De Wever, annonçait la couleur. En France comme en Belgique, le pacte de l'ONU sur les migrations, communément appelé "pacte de Marrakech", du nom de la ville où il a été signé, a suscité une vive polémique. Il contient quelques déclarations d'intention et 23 objectifs, parmi lesquels "ne recourir au placement en rétention administrative des migrants qu'en dernier ressort" ou "assurer l'accès des migrants aux services de base".

 

Si le texte n'est juridiquement pas contraignant, les nationalistes flamands estiment que des juges belges pourraient s'appuyer dessus pour remettre en cause leur volonté d'"interdire l'immigration légale". Pour contourner leur opposition, Charles Michel s'est tourné vers le Parlement, où une large majorité droite-gauche s'est dégagée en faveur du pacte…. Sans mettre fin à la crise : après la signature, les ministres issus de la N-VA ont collectivement démissionné, laissant le Premier ministre à la tête d'un gouvernement minoritaire.

Pourquoi la crise ne se résume-t-elle pas à cette question ?

Pour les nationalistes, le "pacte de Marrakech" constitue un exemple de choix dans la perspective des élections législatives de mai 2019. Selon plusieurs politologues, le parti entend faire de l'immigration le sujet numéro un de la campagne et redoute la concurrence, sur sa droite, du Vlaams Belang, formation politique pro-fermeture des frontières, qui a enregistré de bons résultats en Flandre aux élections locales d'octobre. La Belgique n'est pas le seul pays où le pacte de l'ONU a été brandi comme un repoussoir par les partis nationalistes. Mais à ce stade, aucun autre Etat de l'UE n'a connu une crise d'une telle ampleur : après l'échec d'un appel lancé au Parlement de le soutenir au coup par coup sur plusieurs thèmes clé pour permettre au gouvernement de continuer à travailler, Charles Michel a présenté sa démission, mardi soir.

 

Profondément politique, l'épisode s'inscrit dans une longue tradition en Belgique, pays détenteur d'un record mondial en matière de crises gouvernementales : entre mi-2010 et décembre 2011, le royaume de 11 millions d'habitants, divisé entre Flamands et francophones avait tenu 541 jours sans gouvernement de plein exercice. La Flandre, partie la plus riche du pays, refusait à l'époque de payer pour les régions francophones les plus pauvres. La coalition de Charles Michel, baptisée suédoise - car faite de bleue, la couleur des libéraux, de jaune, celle des nationalistes, et de la croix des chrétiens-démocrates -, a donc réussi l'exploit de tenir quatre ans malgré des tensions persistantes. Le parti du Premier ministre coexistait au côté de deux formations néerlandophones.

Que va-t-il se passer maintenant ?

A cinq mois des législatives, la démission présentée mardi soir au roi Philippe ne va pas déboucher forcément sur le départ du Premier ministre, ni sur des élections anticipées. L'option "la plus probable", selon une source proche du pouvoir, est que le roi demande au gouvernement démissionnaire d'expédier les affaires courantes jusqu'à l'échéance électorale. Au plus fort de la crise, en 2011, l'absence de coalition n'avait pas empêché la prise de décisions importantes, comme celle de l'intervention militaire en Libye.