François Hollande a catégoriquement exclu mardi une intervention des troupes françaises en Syrie pour combattre le groupe Etat islamique. "La France n'interviendra pas au sol, ce sont les forces locales que nous allons accompagner, que nous aidons déjà depuis plusieurs mois qui vont faire ce travail au sol, une fois que nous aurons porté les coups que permettront à ces forces-là d'agir", a déclaré le président de la République lors d'une conférence de presse conjointe avec Barack Obama à la Maison-Blanche.
Mais peut-on gagner la guerre contre Daech sans que les forces occidentales interviennent au sol ? Europe 1 a posé la question à deux spécialistes.
"Il y a eu des troupes au sol" dans les conflits de ces 25 dernières années. De l’avis des spécialistes, aucune guerre n’a été gagnée en misant seulement sur les bombardements. "Dans la plupart des opérations occidentales qui ont été menées au cours des vingt-cinq dernières années, il y a eu des troupes au sol que celles-ci soient occidentales ou de pays ou groupes alliés", affirme Bruno Tertrais, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique.
"Le Nord Vietnam a reçu à peu près autant de bombes que l’ensemble des pays de la seconde guerre mondiale, ça ne les a pas fait plier. L’armée israélienne a mis entre 3 et 4 kilos de bombes au mètres carrés sur Gaza et ça n’a pas du tout calmé le jeu, au contraire", renchérit Pierre Conesa, ancien haut fonctionnaire du Ministère de la Défense.
Une coalition des pays de la région est irréaliste. Pour Bruno Tertrais, "dans l’idéal, il faudrait que l’on ait une coalition de pays de la région qui exploite les bombardements et puisse reconquérir le terrain perdu". Le chercheur pense notamment à une coalition saoudo-irannienne mais ajoute-t-il aussitôt, "cela n’arrivera pas car l’Arabie Saoudite et l’Iran ont des objectifs stratégiques totalement opposés en Syrie". L’option de troupes au sol occidentales est, selon lui, impossible : "personne n’y est prêt et d’autre part, c’est exactement, ce que veut Daech : entraîner les Occidentaux dans une guerre longue coûteuse et meurtrière au sol".
Que faire alors ? "On peut tout à fait réduire l’Etat islamique à une entité beaucoup moins dangereuse si on intensifie significativement les bombardements", assure-t-il, avant d’ajouter, avec malice : "dans ce type de conflit, la notion de guerre gagnée ou perdue n’a pas beaucoup de sens. On s’imagine bien qu’il ne va pas y avoir un armistice signée à Rethondes avec Abou Bakr al-Baghdadi (le chef de l’EI, ndlr.)".
Le risque terroriste en France augmente avec l'intensification des bombardements. Pierre Conesa met lui en garde contre les seuls bombardements : "on est totalement tombé dans le piège de la provocation terroriste. La tournée que fait Hollande en ce moment, c’est la constitution d’une 4ème croisade ! (...) Plus on frappera fort, plus on augmente le risque terroriste ici". Fataliste, il assure que nous sommes dans “une impasse diplomatique et militaire". "Je crois que l’engagement militaire nous entraîne dans une guerre dont on n’a aucune sortie", ajoute-t-il.
Le spécialiste souhaiterait aussi que les dirigeants ne se coupent pas des réalités du terrain. "On voudrait couper la route du pétrole, les Américains bombardent ainsi les camions citernes de l'Etat islamique" mais explique-t-il, il faut se mettre à la place de la région turque frontalière de la Syrie, de l'Irak et de l'Iran. "C'est la région la plus pauvre de la Turquie qui a subi les effets de trois embargos et vous allez expliquer à ces gens-là qu'il faut qu'ils respectent l'embargo car c'est une décision qui a été prise à New-York". "Si vous bombardez ce qui les fait vivre, vous vous en faites des ennemis", met-il en garde.