Mali : pourquoi la situation politique risque de dégénérer

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Vincent Hervouët, édité par Gauthier Delomez
Les dirigeants des pays d'Afrique de l'Ouest ont durement sanctionné dimanche les militaires putschistes au pouvoir au Mali, qui refusent d'organiser des élections comme prévu fin février. Sur Europe 1, l'éditorialiste Vincent Hervouët avance que le pays est pris à la gorge, et s'inquiète des répercussions politiques.
EDITO

La Mali est mis en quarantaine. Les dirigeants des États d'Afrique de l'Ouest ont décidé dimanche de fermer les frontières avec le pays et de le mettre sous embargo. Ils ont lourdement sanctionné l'intention de la junte au pouvoir de prendre le Mali "en otage" en s'y maintenant à la tête pendant des années, et en refusant d'organiser des élections comme prévu fin février. Sur Europe 1, l'éditorialiste Vincent Hervouet regrette l'arrivée des putschistes qui malmènent la démocratie dans le pays.

Des sanctions draconiennes

Les sanctions prises par les dirigeants africains sont draconiennes. Les sept chefs d'État réunis exprès au Ghana, dans la capitale Accra, ont décidé le blocus : fermeture des frontières aériennes et terrestres, gel des avoirs, embargo sur les échanges, à l’exception des produits de première nécessité, suspension des aides, rappel des ambassadeurs… C’est la pression maximum. Le Mali devient un État paria, et la question de la résistance de son économie est posée. Comment le régime va-t-il payer les mercenaires russes de Wagner ? L’un des pays les plus pauvres au monde se retrouve pris à la gorge.

Lundi matin, les contrebandiers et les djihadistes se sont frottés les mains. Tout comme les "forts en gueule" de Bamako, les tribuns nationalistes qui adorent chauffer les manifestants en conspuant l’étranger. Cela a fait longtemps hésiter les dirigeants de la région. C’est la huitième fois en un an et demi qu’ils se réunissaient exprès, pour parler du Mali. Ils croyaient que les putschistes tiendraient parole, avec des élections à la fin février. Quand les militaires à la tête du pays ont annoncé qu’ils ne les organiseraient pas le mois prochain mais dans cinq ans, les dirigeants africains ont dénoncé une "prise d’otages" et un chantage. Ils se sont résignés à les saquer. Tout cela est sans précédent.

Les militaires maliens et leur vision de la démocratie

La junte au pouvoir s'est donc octroyée cinq années. Elle avait envoyé deux ministres marchander, ils proposaient quatre ans finalement. "Faut bien cela", disaient-ils, "pour changer la constitution, en finir avec l’insécurité, pour que le scrutin soit 'impec', qu’il n’y ait pas de contestation". Les militaires maliens se font une très haute idée de la démocratie, si haute qu’ils évitent de s’en servir.

Leur vrai problème, c’est qu’ils préfèrent les palabres aux patrouilles, les guérillas d’antichambre aux accrochages armés. Ils sont nuls pour gouverner, mais c’est mieux que guerroyer. Ils sont incapables d’offrir une réponse politique aux Touaregs, de désarmer les djihadistes et même d’organiser un scrutin. Ils sont juste assez retors pour godiller au milieu du marécage. Le colonel Assimi Goïta a fait un deuxième putsch au printemps dernier - deux putschs en neuf mois, il est champion du monde -, pour s’introniser président… de la transition. Il voulait que cette transition dure quatre ans, soit un mandat entier.

La corruption, septième plaie de l'Afrique

Les chefs d'État d'Afrique de l'Ouest se montrent sévères parce qu'ils ont de plus en plus de mal à tolérer les putschistes maliens. Ils s’inquiètent d’abord de la contagion de l’instabilité. Le fait accompli des militaires est un mauvais exemple. Le problème se pose aussi en Guinée, où le président Alpha Condé a été débarqué, ou encore au Tchad où le général Deby père a été remplacé "au débotté" par le général Déby fils. Ces coups de force sont un retour en arrière après des décennies à discourir sur la bonne gouvernance.  

Les politiciens corrompus, ce sont la septième plaie d’Afrique. Mais il y a pire encore que le politicard médiocre qui ne réforme rien, qui n’essaie même pas. Il y a le militaire putschiste qui s’accroche au pouvoir. Le politicien en croque, l’officier se goinfre. Le premier fait des phrases, le second aboie des ordres, les deux racontent des histoires. Depuis des années, les Maliens paient l’incurie de leurs dirigeants. Sans la démagogie, l’avidité et le je-m’en-foutisme de deux générations successives, le pays n’aurait pas été livré aux djihadistes. Les voisins africains tentent maintenant de s’en protéger.