Il l’avait promis et il l’a finalement fait : contre l’avis de ses partenaires, Donald Trump a annoncé mardi son intention de faire sortir les États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien signé en 2015 à Vienne. Le texte, qui instaurait un contrôle international sur les activités nucléaires de Téhéran en échange de la levée des sanctions économiques, est sérieusement compromis. Tandis que les Européens promettent de préserver l’accord, les entreprises étrangères installées à Téhéran craignent déjà le retour des sanctions américaines. Europe 1 fait le point sur les conséquences multiples du retrait des États-Unis.
L’Iran va-t-il accélérer son programme nucléaire ?
Le retrait des États-Unis ne rend pas immédiatement caduc l’accord sur le nucléaire iranien. "L'accord est un accord international et pas uniquement entre nous et les États-Unis. Nous appliquons l'accord et nous attendons la même chose des Européens et des autres", rappelle Abolghassem Delfi, ambassadeur d'Iran en France, invité d’Europe 1 mercredi. "Si nous atteignons les objectifs de l'accord en coopération avec les autres parties prenantes de cet accord, il restera en vigueur", avait déjà affirmé la veille le président iranien Hassan Rohani.
"Notre politique sur le nucléaire est très claire, l'Iran n'a jamais cherché le nucléaire militaire", poursuit Abolghassem Delfi. Reste que la rupture des États-Unis affaiblit considérablement les restrictions que l’accord impose à l’Iran. Hassan Rohani a déjà averti la communauté internationale sur ses intentions : "J'ai ordonné à l'Organisation iranienne de l'énergie atomique de prendre les mesures nécessaires […] pour qu'en cas de nécessité nous reprenions l'enrichissement industriel (de l’uranium, ndlr) sans limite". Une menace immédiatement tempérée par le président iranien. "Nous attendrons quelques semaines avant d'appliquer cette décision", en fonction du résultat des discussions entre Téhéran et les autres partenaires de l'accord, a-t-il ajouté.
L’Europe peut-elle prendre la main ?
La sortie des États-Unis de l’accord laisse l’Europe en première ligne puisque les autres signataires sont la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Union européenne, la Russie et la Chine. C’est donc vers eux que le président Rohani s’est tourné mardi soir. Si la Russie a fait part de son côté de sa "profonde déception", France, Allemagne et Royaume-Uni ont réagi par un communiqué commun. "Nous resterons parties au JCPoA" (acronyme de l'accord, ndlr) ont-ils annoncé.
" En sortant de l’accord, Donald Trump témoigne de son mépris pour l'ONU "
"Nos gouvernements restent déterminés à assurer la mise en œuvre de l'accord et travailleront à cet effet avec les autres parties qui resteront engagées", disent-ils, en "maintenant les bénéfices économiques" au profit de la population iranienne. Même position pour l’UE, "déterminée à préserver" l’accord nucléaire iranien. Face au retrait des États-Unis, les Européens ont donc l’opportunité de s’imposer sur la scène diplomatique, intention exposée par Emmanuel Macron. "Nous travaillerons collectivement à un cadre plus large, couvrant l'activité nucléaire, la période après 2025, les missiles balistiques et la stabilité au Moyen-Orient, en particulier en Syrie, au Yémen et en Irak", a déclaré le chef de l’État sur Twitter mardi.
"La voix de la France est très importante dans ce dossier", appuie sur Europe 1 Annick Cizel, enseignante-chercheuse à Paris 3, spécialiste de la politique étrangère américaine. Même si les États-Unis, l’Arabie Saoudite et Israël se sont alignés, la France fait partie d’un ensemble plus large. "L’Union européenne, la communauté internationale, le conseil de sécurité de l’ONU font bloc également. En sortant de l’accord, Donald Trump témoigne de son mépris pour l’Agence internationale de l’énergie atomique et donc de son organisation-mère : l’ONU", souligne Annick Cizel. Un risque que les États-Unis pourraient payer cher sur le plan diplomatique.
Quid des sanctions américaines ?
Mais la bonne volonté européenne suffira-t-elle ? "Que les seuls pays européens sauvegardent l’accord, ça me paraît extrêmement compliqué", relativise Denis Bauchard, ancien diplomate, conseiller pour le Moyen-Orient à l’Institut français des relations internationales (Ifri), invité d’Europe Midi mercredi. Principale raison de douter de la force des pays européens : les sanctions. En effet, conséquence directe de la rupture américaine : les sanctions imposées par les États-Unis à l’Iran – qui n’avaient jamais été totalement levées, vont être renforcées, au niveau préalable à l’accord.
Le Trésor américain a précisé que les sanctions concernant les contrats déjà en cours prendront effet après une période de transition de trois à six mois. Concrètement, "aucun nouveau contrat n'est autorisé" pour les entreprises américaines en Iran, a précisé John Bolton, conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump. Mais cela pourrait aller encore plus loin. "Il est absolument possible que des sanctions supplémentaires puissent suivre, si nous avons de nouvelles informations", a –t-il ajouté.
" Le motif de sécurité nationale complique la tâche de l'UE et de la France "
Or, "les États-Unis utilisent une arme très dissuasive, à savoir l’extraterritorialité", note Denis Bauchard. En effet, le droit américain s’applique hors des frontières et donc sur le territoire iranien. "La BNP, sanctionnée à hauteur de neuf milliards de dollars pour avoir violé l’embargo américain en Iran, peut témoigner de la force du droit américain", ajoute ce fin connaisseur de la région. Enfin, "en invoquant comme motif de retrait la sécurité nationale, Donald Trump complique la tâche de l’UE et de la France pour contourner les sanctions américaines car il s’appuie sur le règlement de l’OMC", complète Annick Cizel.
Quelles conséquences pour les entreprises françaises ?
Le couperet américain vaut également pour les entreprises européennes qui font du business en Iran. A la fin de la période de transition, si des contrats sont toujours en vigueur, les États-Unis se réservent le droit de sanctionner les entreprises concernées. Par exemple, selon les règles américaines, si 10% des composants d’un avion sont américains, ce qui est le cas pour un Airbus, les sanctions s’appliquent. Un coup dur pour l’avionneur européen qui venait de signer un contrat de 14 milliards d’euros avec Iran Air.
Les entreprises françaises sont particulièrement en danger. Depuis la signature de l’accord en 2015, "la France avait multiplié par trois son excédent commercial avec l'Iran", a affirmé Bruno Le Maire chez France Culture. Dès l’ouverture économique du pays, Renault, PSA, Total, Vinci, Sanofi ou encore le groupe Bolloré se sont rués à Téhéran pour signer des contrats. Autant d’entreprises qui risquent d’être sanctionnées si elles ne quittent pas l’Iran avant six mois. Cela va "poser des difficultés considérables à toutes les entreprises européennes", estime le ministre de l’Économie qui juge "pas acceptable" que les États-Unis se placent en "gendarme économique de la planète".