Depuis quelques jours, la situation semble s’être largement envenimée au Yémen. La population de Sanaa est affolée après des pillages et de violents combats. Mardi, des rebelles ont affirmé tenir la capitale sous contrôle et le gouvernement semble incapable de reprendre la situation en main. L’Etat tout entier semble sur le point d’imploser.
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Que s’est-il passé ces derniers jours ?
Des rebelles chiites, historiquement installés dans le nord du pays, ont avancé vers la capitale en quelques mois. La semaine dernière, ils ont marché dans Sanaa. D’intenses combats se sont déroulés dans la capitale yéménite, entre les rebelles et leurs opposants sunnites soutenus par l’armée. Dimanche, le calme est un temps revenu à Sanaa, après un accord de paix parrainé par l’ONU.
Mais les rebelles chiites ont refusé de signer une annexe de cet accord sur le désarmement des milices dans la capitale et ses provinces. La situation s’est à nouveau envenimée lundi, après qu’ils ont mis la main sur de l’armement lourd. Mardi, les jeux semblaient faits alors que les rebelles contrôlaient la quasi-totalité de Sanaa.
Le président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi, visiblement inquiet de cette déstabilisation, a dénoncé un "complot" fomenté de l’étranger et promet de "rétablir l’autorité de l’Etat". Les rebelles chiites tentent maintenant de tendre une large main, pour rassembler le pays derrière leur cause.
A quoi ressemble Sanaa après des jours de combats ?
Pendant plusieurs jours, Sanaa a été une ville morte. Très peu d’habitants sont allés travailler, les magasins ont laissé les rideaux baissés. La ville compte ses morts, au moins 200 en six jours. Mais ce bilan pourrait être largement sous-estimé car il ne prend pas en compte les corps récupérés par les familles ou les combattants eux-mêmes.
Des mouvements de chars, conduits par des milices chiites, suscitent l’inquiétude parmi la population, qui dresse le constat d’une incapacité totale de l’Etat à contrôler la situation.
Mais lundi, les Yéménites de Sanaa ont recommencé à vivre, les rues de la capitale se remplissant doucement. Le même jour, les rebelles en profitaient pour célébrer leur victoire et leur contrôle sur Sanaa.
Qui sont les rebelles ?
Ils sont souvent appelés les "houthis", en référence à leur guide spirtuel Badreddine al-Houthi ainsi qu’à son fils. Ces rebelles chiites, organisés en groupe armé, contrôlent depuis des années le nord-ouest du Yémen.
Ils sont issus d’une branche du chiisme, le zaïdisme. Les imams de cette confession ont gouverné le nord du Yémen pendant un millier d’années jusqu’à leur renversement en 1962 par une révolution civile, principalement sunnite. Sous la présidence d’Ali Abdallah Saleh, qui a gouverné jusqu’en 2012, six campagnes de répression ont été menées contre ce groupe armé.
Désormais, ces rebelles chiites se battent notamment contre des milices sunnites, le groupe confessionnel majoritaire au Yémen.
D’où vient le problème ?
En plus des origines historiques des tensions chiites-sunnites, "l’Etat central a tenté d’imposer son organisation à des structures tribales déjà existantes, sans vraiment y parvenir. Ce sont deux systèmes qui coexistent, les représentants tribaux arrivant plus souvent à obtenir raison, notamment par la violence", détaillait au moment des Printemps arabes pour Europe 1 Juliette Honvault, chercheuse au CNRS spécialisée dans l’histoire du Yémen contemporain.
Ce conflit a trouvé un nouvel élan en 2011 avec le Printemps arabe au Yémen. Les Houthis ont joué un rôle important dans la révolte populaire qui a mené au départ de l’indétrônable président Ali Abdallah Saleh.
Depuis les rebelles chiites cherchent à s’implanter plus profondément à Saada, le berceau historique du zaïdisme. Avec le redécoupage fédéral qui s’annonce au Yémen, les Houthis semblent vouloir étendre leur mainmise sur les territoires du pays.
Maintenant qu’ils contrôlent une grande partie de la capitale Sanaa, ils tentent de rassembler au-delà de leur groupe, notamment grâce à un réseau d’alliances avec d’autres tribus zaïdites, mais aussi sunnites.
Pourquoi la situation est stratégique pour le Yémen ?
L’émissaire à l’ONU Jamal Benomar, qui a parrainé l’accord avorté, s’est étonné de l’effondrement des institutions civiles et militaires, s’inquiétant par ailleurs d’un "effondrement de l’Etat yéménite" et de "la fin du processus de transition politique".
April Longley Alley, spécialiste pour l’International Crisis Group, s’interrogeait également sur le rôle de l’ancien président Ali Abdallah Saleh qui pourrait en profiter pour revenir dans le jeu : "Il n’y a aucun doute que Saleh a facilité l’expansion des Houthis dans la capitale et autour", a-t-elle déclaré, sans pouvoir trancher sur "l’étendue de son implication".
En parallèle de ce combat contre les rebelles chiites, le gouvernement yéménite se bat également contre la branche locale d’Al-Qaïda, qui pourrait profiter de la désintégration de l’Etat central dans ce pays géographiquement stratégiquement, entre la corne de l’Afrique et la péninsule arabique.