La mort de Ben Laden ne devrait pas entraîner la disparition d'Al-Qaïda. Les structures du réseau, autonomes, décentralisées et souvent fonctionnelles, vont subsister, selon de nombreux observateurs. "Ce n’est pas parce que Ben Laden est mort que le terrorisme est mort", a souligné lundi matin sur Europe 1, l'universitaire Mathieu Guidère, spécialiste d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique (Aqmi).
Car si Oussama ben Laden était l'icône symbolique de cette organisation, il ne contrôlait pas les décisions des branches ou groupuscules qui se revendiquent du chef charismatique. Il était devenu pour ses partisans l'inspirateur plutôt que l'organisateur des attentats.
Des ramifications sur tous les continents
Le réseau Al-Qaïda, dont le nom signifie "la base" en arabe, a été formée vers 1988 par d'anciens moudjahidines qui avaient combattu les Soviétiques en Afghanistan de 1979 à 1989. De nombreux attentats, hormis celui du 11 septembre 2001 qui a fait connaître l'organisation, ont été revendiqués en son nom. Il y a eu notamment les deux attentats contre des ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie (224 morts en 1998), celui de Bali (202 morts en 2002), les attentats de mars 2004 à Madrid (191 morts et près de 2.000 blessés) et ceux de Londres en juillet 2005 (56 morts et 700 blessés).
L'organisation, telle une pieuvre, a des ramifications sur tous les continents. L'aspect informel et non centré du réseau lui a permis de s'étendre. "A chaque fois qu'un grand chef de l'organisation a été tué, en particulier par des Américains, il a accédé dans l'imaginaire djihadiste international au statut de martyre", analyse Mathieu Guidère. Ce statut permet aux branches se revendiquant du réseau de créer des brigades de kamikazes qui portent le nom et agissent au nom du nouveau martyre, ajoute-t-il.
Trois branches "adoubées"
Jusqu'à maintenant, les décisions d'actes terroristes ont donc été prises de manière autonome, et la plupart du temps sans avoir à en référer à Oussama Ben Laden. Trois branches du réseau ont néanmoins été adoubées par le Ben Laden et son numéro deux, Ayman al-Zawahir, explique l'expert. Il s'agit d'Al-Qaïda en Irak, "en déliquescence aujourd'hui", Al-Qaïda dans la péninsule arabique basée au Yémen qui se renforce, et Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) basée à la fois en Afrique du Nord et dans le Sahel.
Mais même adoubées, ces branches sont totalement autonomes, à la fois sur le plan financier et opérationnel. L'Aqmi, qui a tué l'otage français Michel Germano en juillet dernier et retient quatre otages français enlevés au Niger il y a huit mois, est l'exemple type de cette indépendance. L'ex-otage français Pierre Camatte, libéré en février 2010, raconte au micro d'Europe 1 que pendant sa détention le chef Abou Zeid lui parlait très peu de Ben Laden.
"C'était surtout faire de la propagande pour Aqmi" :
Cette autonomie est aussi financière. Car si au tout début Ben Laden faisait office de financier, chaque groupe a dû trouver par la suite de l'argent. L'Aqmi se finance grâce à la prise d'otages : on a parlé de 6 millions d'euros de rançon pour libérer quatre otages dont deux Canadiens en 2009. Mais aussi avec des droits de douane qu'ils prélèvent sur les trafiquants de drogue.
L'argent de la cocaïne
"Depuis l'arrivée de la cocaïne colombienne, les sommes engagées sont considérables, car c'est tout l'approvisionnement de l'Europe qui se fait par là. C'est de l'ordre de plusieurs centaines millions d'euros", détaille au micro d'Europe 1, Jean-Christophe Rufin, ancien ambassadeur de France au Sénégal, et aujourd'hui écrivain."Je ne vois pas pourquoi ils s'arrêteraient tout à coup parce que Ben Laden n'est plus là", ajoute-t-il.
Ce mode de financement permet de recruter et former les combattants, des centaines sur place dispersés dans des petits groupes de dizaines d'hommes, mais aussi ces milliers d'autres repartis dans leur pays après avoir été entraînés, et prêts à agir. Des combattants très jeunes, qui n'ont parfois pas plus de 14 ans.
Des héritiers de Ben Laden ?
Malgré son aspect décentralisé, Al-Qaïda reste une organisation qui a une sorte de conseil d'administration, le conseil de la Choura. Théoriquement, cette assemblée doit bientôt se réunir pour désigner le successeur de Ben Laden.
De nombreuses figures du réseau pourraient reprendre le flambeau de Ben Laden, même sans son côté charismatique. Ayman al-Zawahiri, bras droit et co-fondateur d'Al-Qaïda, ce médecin égyptien est toujours en fuite, et les militants lui prêtent un grand sens de l'organisation. La récompense pour sa capture est de 25 millions de dollars. Le chef supposé de la branche militaire d'Al-Qaïda, l'égyptien Saif al-Adel, est également une figure inquiétante pour les pays occidentaux, et une récompense de cinq millions de dollars est offerte pour son arrestation. Enfin, Anwar al-Aulaqi, prêcheur radical américano-yéménite né aux Etats-Unis, est considéré par le ministre de la Justice américain comme une menace aussi grande qu'Oussama ben Laden.
Mais en pratique, il n'y pas encore de successeur désigné. Et même si quelqu'un tente de s'imposer, il a peu de chance d'y arriver selon le juge antiterroriste Marc Trevidic. "Peut-être qu'il (le successeur désigné nldr) ne sera pas admis par des composantes du front islamique mondial. De toute faon les groupes sont dilués un peu partout et ce qui se passerait peut-être, c'est que ces groupes reviennent à leur principale préoccupation qui est régionale".
Nouvelles aspirations dans le monde arabe
L'avenir d'Al-Qaïda est donc incertain. Pour le spécialiste du terrorisme dans le monde arabe Antoine Basbous, il faut "encore attendre" pour en juger. L'élimination de Ben Laden pourrait "déprimer" ses hommes, estime-t-il. "Est-ce que par exemple l'Aqmi va faire allégeance à son numéro deux ou penser qu'elle n'a plus d'avenir?".
Cela serait surtout oublier les changements en cours dans les pays arabes et la nouvelle aspiration démocratique des peuples qui modifie forcément la donne pour le reste du monde. "Aujourd'hui, le monde arabe est en ébullition, les pays ne sont plus dans le même état qu'il y a 10 ans. Le peuple se concentre sur la démocratie", juge Antoine Basbous.