"Shutdown" : sans travail, et surtout sans salaire, la galère des fonctionnaires américains

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Aux États-Unis, les fonctionnaires au chômage forcé à cause du "shutdown" perdent patience (et beaucoup d'argent). © Mark Makela / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP
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La fermeture des administrations américaines met des centaines de milliers de fonctionnaires au chômage technique. Certains changent leurs habitudes d'achat, voire prennent des emplois supplémentaires pour payer leurs factures.

Le "shutdown" qui frappe les États-Unis depuis le 22 décembre est en passe de devenir le plus long que le pays ait jamais connu. Les administrations américaines sont à l'arrêt à cause d'un désaccord budgétaire entre démocrates et républicains sur le projet de construction d'un mur à la frontière mexicaine. Si ce type de blocage est régulier outre-Atlantique, il engendre toujours d'énormes difficultés pour les 806.000 travailleurs du gouvernement fédéral obligés de faire une croix sur leur salaire.

Beaucoup d'entre eux sont des contractuels ou des fonctionnaires dont les tâches ne sont pas jugées indispensables, et qui sont simplement renvoyés chez eux. Pour certains, la peine est double : il leur faut toujours venir travailler, mais ils ne seront pas payés avant que la situation revienne à la normale. Nombreux sont donc ceux qui, confrontés à des revenus qui s'assèchent, sont obligés de changer leurs habitudes, voire de faire des choix drastiques pour limiter les dépenses. Sur Twitter, le hashtag #Shutdownstories a permis à certains d'entre eux d'exposer leurs problèmes au grand jour. Et la presse américaine s'est aussi fait l'écho de ces travailleurs désabusés.

" Arrêtez de jouer avec notre argent et nos vies. "

"On ne dîne plus dehors". Carolina et Chris, qui travaillent tous deux au ministère de la Justice à Washington, se serrent la ceinture. Lui n'a pas été payé depuis le 21 décembre. "On ne dîne plus dehors", raconte au Washington City Paper Carolina, qui fait désormais ses courses chez Costco, un géant de la grande distribution spécialisé dans la vente en gros et à prix bas, et se rabat sur les surgelés. Elle est assurée d'avoir un travail jusqu'au 18 janvier. "Mais si l'administration ne rouvre pas [à cette date], nous n'aurons plus aucun revenu", confie-t-elle. "Nous ne sommes pas riches. Nous dépendons littéralement de ces bulletins de paie." Et la jeune femme de demander aux politiques : "Arrêtez de jouer avec notre argent et nos vies."

"J'essaye de voir comment payer la cantine". Employé au centre des impôts d'Austin, au Texas, Paul Neil Keiffer confie à la radio NPR être "profondément inquiet". "Je ne sais pas si j'arriverai à manger au bout d'un certain temps. Je dois payer mon loyer et mon électricité. Donc j'apprécierais que les garçons, là-bas à Washington, travaillent ensemble et résolvent la situation."

Pour certains, il est déjà temps de trancher entre les factures à payer absolument et celles qui peuvent attendre. Tyran McClelland, une fonctionnaire interrogée par le Washington Post, explique devoir choisir entre acheter ses antihistaminiques ou de la nourriture. "J'essaye de voir comment payer le déjeuner de mon enfant à la cantine", explique celle qui travaille au ministère de la Justice. "Ma mère de 75 ans m'a demandé ce qu'elle pouvait faire pour m'aider. Elle ne devrait pas avoir à se soucier de mon salaire."

" Je suis seule et j'essaie de joindre les deux bouts. Si j'en arrive au point de devoir vendre des objets de la maison, je le ferai. "

"Je veux simplement travailler". Krystle Kirkpatrick, 31 ans, employée dans le centre des impôts d'Ogden, dans l'Utah, ne cache pas sa colère dans les colonnes du Washington Post. "Cela ne me convient pas que mon travail soit utilisé pour marchander par des gens qui n'arrivent pas à se mettre d'accord. Je veux simplement travailler." Pour l'instant, il est encore possible de se reposer sur le salaire de son mari. Mais avec deux enfants, la mère de famille envisage déjà d'aller donner son sang pour gagner un peu d'argent. Aux États-Unis en effet, ce don est rémunéré.

Postuler chez Domino's pizza. Trouver de l'argent autrement, beaucoup de fonctionnaires essaient de le faire. Contractuelle au département des Transports de Kansas City, Julie Burr explique à ABC News faire des heures supplémentaires dans la librairie dans laquelle elle travaille déjà pour arrondir ses fins de mois. "Je suis mère célibataire", raconte-t-elle. "Ce n'est pas une famille avec deux salaires. Je suis seule et j'essaie de joindre les deux bouts. Et si j'en arrive au point de devoir vendre des objets de la maison, je le ferai." Dans l'Utah, Tyler Fralia, qui travaille comme Krystle Kirkpatrick au centre des impôts d'Odgen, a postulé chez Domino's pizza et Uber, en vain. Mais certains ne peuvent même pas tenter cette solution d'urgence, puisqu'ils ont besoin de l'accord de leur administration avant de pouvoir prendre un autre emploi.

 

Levée de fonds sur Internet. Autre solution : lever des fonds sur Internet. Selon GoFundMe, un site de crowdfunding, plus de 700 comptes ont été créés depuis le début du "shutdown", avec un total de 50.000 dollars récoltés, selon les informations recueillies par CBS. Parmi ces pages, celle montée par Johanna Petrocelli, ingénieure à la NASA. La jeune femme de 26 ans l'a fait pour des collègues qui, contrairement à elle, ne peuvent puiser dans leurs économies. "Ce ne sont pas des irresponsables, des gens qui n'économisent pas ou dépensent trop", explique-t-elle à CBS. "Ce sont des gens très diplômés qui travaillent à la NASA. Des doctorants en astrophysique du MIT, des contrôleurs aériens, mais aussi des assistants administratifs, des concierges ou du personnel de maintenance et de sécurité qui travaillent beaucoup pour de petits salaires."

Solidarité. Ce "shutdown" est de fait propice à l'entraide. À Washington, des restaurants et des bars ont mis en place des offres spéciales pour tous ceux et celles possédant un badge de travailleur du gouvernement, comme le raconte Newsweek. Des réductions de 25%, des pizzas ou des sandwichs au poulet gratuits, un menu à 6 dollars avec sandwich et boisson… les restaurateurs se montrent solidaires. L'un d'entre eux, José Andrès, qui possède six enseignes dans la capitale américaine, a d'ailleurs invité sur Twitter "tous [s]es beaux travailleurs appliqués du gouvernement fédéral" à "venir dans n'importe lequel de [s]es restaurants avec [leur] famille entre 14 heures et 17 heures pour un sandwich gratuit. Tous les jours jusqu'au retour au travail".

Poursuites judiciaires. Parfois, l'enjeu n'est même pas financier. En Virginie, un atelier de tricot propose des classes gratuites pour les employés touchés par le "shutdown", comme l'a constaté sur place la correspondante d'Europe 1, Sonia Dridi. "De quoi remonter le moral de fonctionnaires inquiets pour leurs finances, lassés de rester chez eux, frustrés de ne pas pouvoir faire leur travail".

Des actions judiciaires ont par ailleurs été entreprises. La fédération américaine des employés du gouvernement a ainsi intenté des poursuites contre l'administration Trump, estimant que demander aux fonctionnaires de venir travailler sans être payé était illégal. Elle a été rejointe par un deuxième syndicat.