C'était il y a trente ans. En 1986, dans la nuit du 25 au 26 avril, un incendie se déclarait dans la centrale de Tchernobyl, en Ukraine, déclenchant la plus grosse catastrophe nucléaire de l'Histoire. Immédiatement, des employés de la centrale, des mineurs mais aussi des soldats ont été mobilisés pour tenter de limiter les conséquences de la catastrophe. Entre 500.000 et un million de liquidateurs, hommes et femmes, ont ainsi été chargés de sécuriser la centrale et de détruire les villages contaminés, s'exposant à des niveaux de radiations exceptionnels.
"C'était terrifiant". Parmi eux, Anatoliy Koliadine, électricien à la centrale, a été l'un des premiers sur place. Le matin du 26 avril 1986, il venait tout simplement travailler. A son arrivée, il découvre l'accident, voit que le réacteur numéro 4 n'est plus couvert. Il remarque aussi le graphite, ce matériau utilisé pour la construction du modérateur placé au centre du réacteur nucléaire, éparpillé autour de lui. "C'était terrifiant, d'autant que le chef de la sécurité portait une tenue de protection alors que nous n'avions rien, juste notre pantalon et notre blouse blanche", se souvient-il aujourd'hui.
"Si nous ne le faisions pas, qui le ferait" ? L'ordre lui est pourtant donné d'assurer l'alimentation en eau du réacteur. L'électricien, qui vit avec sa femme et ses deux enfants à Pripiat, la ville des employés de Tchernobyl située à seulement 3 kilomètres de la centrale, s'exécute. "Juste à côté, il y avait notre ville, nos familles, nos enfants. La seule question, c'était de savoir qui le ferait si nous ne le faisions pas. Alors nous avons fait notre devoir. Mais on sentait que ce serait une mission difficile, terrible, peut-être la dernière de notre vie."
Lourdes séquelles physiques. Mal protégés contre les émanations hautement radioactives, beaucoup des liquidateurs ont payé très cher leur dévouement. On estime ainsi que seuls 50.000, soit 10% d'entre eux, sont encore en vie aujourd'hui. Parmi ceux qui ont travaillé avec Anatoliy Koliadine ce 26 avril, la moitié sont déjà morts. Lui, désormais âgé de 67 ans, a travaillé pendant trois ans à la sécurisation de Tchernobyl avant de pouvoir rejoindre sa famille, relogée à Kiev. Trois années dévastatrices pour sa santé. L'électricien a cumulé les maladies : la thyroïde, les artères, les yeux ont été atteints, l'empêchant de retrouver un emploi.
Une indemnisation dérisoire. Comme tous les liquidateurs, Anatoliy Koliadine touche une pension. Mais ces aides financières, qui n'atteignent que 2.000 grivnas (70 euros) pour les plus basses, n'augmentent pas ou très peu, alors que les prix flambent. Et ne suffisent pas à se soigner. "Pour certains, acheter des médicaments coûte la moitié de leur pension", souligne Anatoliy Koliadine. "Comment peuvent-ils se le permettre ? Il faut acheter du pain, payer des charges, vivre tout simplement. Ils se retrouvent dans l'impasse, dans l'indifférence."
Pour faire valoir leurs droits, de nombreux liquidateurs ont monté des associations. Et s'ils participeront aux cérémonies officielles organisées lundi soir à Kiev et dans plusieurs autres villes ukrainiennes pour leur rendre hommage, le plus important restera de se retrouver ensuite de leur côté. Pour boire un verre, s'embrasser, compter les survivants. Et, avant tout, penser à ceux qui ne sont plus là.